Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
c’était une chute de 3 mètres de haut.
Mes provisions, que je devais consommer avec circonspection et sans faire de bruit, touchaient à leur fin. Cependant, de nouvelles rumeurs se confirmaient. Des gens se précipitaient à tout moment à travers le camp en nous tenant au courant de la situation du front. Je m’étonnais qu’ils pussent encore en trouver la force. Un jour, les Américains n’étaient plus qu’à 50 kilomètres de notre camp, quelques heures plus tard l’avant-garde blindée des Alliés était à 80 kilomètres. Une nouvelle en chassait une autre, mais personne ne savait exactement où l’on en était réellement.
La conviction de l’imminence de notre libération mobilisait mes dernières forces et stimulait ma volonté de vivre, mais en dépit de tous mes efforts, je ne pouvais empêcher la dégradation graduelle de mon physique et de mon moral. Le temps me semblait figé. Je demeurais toujours sur la charpente de mon toit et observais sans intérêt le grouillement des poux sur ma couverture. Je ne portais guère plus d’attention aux lamentations et aux plaintes qui s’élevaient au-dessous de mon gîte. Je vivais dans un état de somnolence.
Réveillé en sursaut par le fracas des combats, j’entendis enfin le bruit tout proche des mitrailleuses et les détonations des grenades. Aussitôt après, quelques personnes se précipitèrent dans la baraque, les bras levés, criant avec exaltation : « Nous sommes libres, camarades ! Nous sommes libres ! »
Cet instant, sur lequel s’étaient fixés toutes mes pensées et tous mes espoirs depuis trois interminables années, me semblait désormais vide de signification. Je ne ressentais aucune joie, aucune émotion. Je me laissai tomber au sol depuis ma poutre et me glissai à quatre pattes jusqu’à la porte. Lorsque je fus dehors, je me traînai un peu plus loin et m’allongeai simplement sur la terre, où je m’endormis d’un profond sommeil.
Je fus réveillé par un bruit régulier de moteurs. Je me levai avec difficulté et me rendis lentement jusqu’à la route voisine où, à quelques mètres de distance, défilait avec un fracas assourdissant une longue colonne de blindés américains. Je suivis des yeux les colosses d’acier et compris alors que tout était fini.
Je n’étais plus qu’une épave vivante, l’ombre de moi-même. Je n’étais même plus capable de ressentir une émotion. Pas une larme de joie sur mon visage, aucune explosion d’enthousiasme dans mon cœur. Fermé à tout sentiment, je regardais au loin, dans le vide, incapable de réaliser que j’avais définitivement échappé au commando spécial d’Auschwitz.
« Le livre de Filip Müller est un document unique. En prendre connaissance est un devoir, si nous voulons assurer la survie de notre civilisation. »
Professeur Yehuda Bauer Hebrew University à Jérusalem.
Traumatisé à vie, Filip Müller, après avoir surmonté les limites extrêmes du désespoir, a finalement décidé, trente ans après, de se souvenir. Afin que nul n’oublie.
Son récit vécu sur l’innommable réalité des camps de la mort n’est comparable à aucun autre. Müller est en effet l’un des uniques survivants des commandos spéciaux des fours crématoires, commandos où se trouvaient enrôlés de force de jeunes déportés suffisamment robustes pour exécuter, sous la menace d’une mort immédiate en cas de refus, les tâches les plus immondes et les plus éprouvantes jamais demandées à des hommes. À intervalles réguliers, l’effectif complet de ces commandos était à son tour radicalement éliminé, afin qu’aucun survivant ne puisse jamais parler.
Filip Müller, par un extraordinaire concours de circonstances, a miraculeusement survécu. Il a, pendant trois ans, pratiquement assisté au massacre de tout un peuple, partagé les derniers instants de tous ceux qui allaient mourir, procédé, avec ses propres mains, et dans d’indicibles conditions au transfert et à l’incinération de leurs cadavres.
Son histoire, véritablement dantesque, dépouillée de tout artifice littéraire ou artistique, ne s’embarrasse d’aucune considération d’ordre psychologique. C’est uniquement le constat détaillé et souvent insoutenable d’un hallucinant cauchemar, un document historique exceptionnel à l’état brut, au ton volontairement neutre, car il est des expériences qui coupent à jamais toute envie de philosopher.
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