Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
fours, sans me retourner. Peu de temps après, on traîna leurs cadavres dans le local d’incinération.
Lorsque je vis leurs corps, je compris pourquoi ils avaient été transférés du sauna dans le crématoire. Les frères Klug portaient tous les deux des bandages herniaires qui, bien entendu, n’avaient pas été remarqués au moment de la « sélection ». C’est pourquoi ils avaient été considérés tous deux comme aptes au travail. En ce qui concernait Sonnenfeld, on avait oublié sur la rampe de regarder ce qu’elle portait dans son panier : sans quoi, c’eût été pour elle le passage immédiat dans la chambre à gaz. Lorsque les sbires S.S. constatèrent dans le sauna l’infirmité des frères Klug et la présence du petit enfant de Klara Sonnenfeld, il leur parut évident qu’ils ne pouvaient accomplir un travail de forçat. C’est pourquoi on les condamna à leur sort inévitable.
Le dernier gazage de Birkenau eut lieu en novembre 1944. L’armée soviétique se rapprochait de jour en jour et les conditions de vie dans le camp se modifièrent complètement. Le calme était revenu sur la rampe : on n’entendait plus les sifflements des locomotives ni les grincements des freins et la circulation des camions sur les routes du camp était devenue très rare. On remarquait même chez les S.S. des signes de désarroi et d’insécurité. Visiblement ils se demandaient comment les choses allaient tourner. Ils faisaient transporter par camions jusqu’aux crématoires tous les documents sur les détenus : fichiers, procès-verbaux de décès, actes d’accusation et autres papiers de ce genre. Après les avoir mis en tas, on les faisait brûler sous une stricte surveillance. Ces signes avant-coureurs ne trompaient pas. Le III e Reich était condamné.
Fin novembre 1944, on entreprit le démontage des crématoires II et III, pendant que, conjointement, intervenait une « sélection » dans nos rangs. Tous les détenus du commando spécial, environ 200 hommes, furent rassemblés dans la cour du crématoire II. Cette fois la direction du camp avait pris des mesures qui n’avaient rien de comparable avec celles de la précédente « sélection ». Des centaines d’hommes des corps de garde S.S. se tenaient armés, avec de nombreux chiens, derrière le réseau des barbelés et les chefs de la section politique, Houstek et Boger, dirigeaient en personne les opérations avec les chefs des commandos.
On commença par renvoyer les trois pathologistes avec leurs assistants. On donna ensuite l’ordre aux 30 détenus qui étaient cantonnés dans le crématoire V, groupe dont je faisais partie, de s’en retourner. Les sbires S.S. exclurent également un autre groupe de 70 détenus environ qui constituaient le commando de démolition. Aux autres on déclara qu’ils étaient affectés au camp Grossrosen. Jamais plus on ne devait en entendre parler. Mais pour nous, hélas, leur sort ne faisait guère de doute !…
Alors que la centaine de candidats à la mort était rassemblée devant nous, le dajan sortit des rangs et fit face à la foule : c’était ce coadjuteur du rabbin qui avait travaillé dans le commando du traitement des chevelures des femmes dans les combles du crématoire II.
Il s’adressa à l’Oberscharführer Mushfeldt et lui déclara : « Vous avez maintenant assez parlé, laissez-moi ajouter quelques paroles ! » Puis il se tourna vers les détenus et leur dit d’une voix ferme et haute : « Mes chers frères, suivant la décision impénétrable de la justice de Dieu, notre dernière heure est arrivée. Une cruelle et terrible destinée nous a contraints à participer à la destruction de notre race avant d’être nous-mêmes réduits en cendres. Ni la foudre ni les eaux du Ciel n’ont permis d’étouffer les incendies des bûchers élevés par la main de l’homme. Il nous faut maintenant, dans l’esprit de soumission du peuple juif, accepter l’irrévocable. C’est la dernière épreuve que le Ciel nous impose. Il ne nous appartient pas de nous demander les raisons de cet arrêt car nous ne sommes que poussière devant la puissance du Divin. Ne redoutons pas la mort ! Quel prix pourrions-nous attacher à la vie si nous pouvions même la sauver par un miracle ? C’est en vain que nous chercherions nos proches, anéantis. Seuls, sans famille, sans amis, sans patrie nous serions condamnés à errer, sans but, dans le monde. Il n’y aurait plus jamais
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