Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
possible que par des actions constantes de sabotage des voies ferrées sur toutes les voies d’accès à Auschwitz.
Quelques jours après le soulèvement, la section politique arrêta parmi nos camarades douze détenus qui furent emmenés en captivité, dont Wrobel, Juki et quelques prisonniers de guerre russes. Nous ne sûmes jamais le sort qui leur fut réservé.
Ranimant nos craintes, l’arrestation de ces douze camarades alimenta également diverses rumeurs. La plupart d’entre nous étant au courant des plans de résistance, chacun de nous vivait dans l’inquiétude de l’avenir : n’allions-nous pas figurer parmi les prochaines victimes de la Gestapo ? Après le drame sanglant des jours précédents et les arrestations, l’effectif des détenus affectés au commando spécial se trouvait réduit à quelque 200 hommes. Parmi eux, 170 détenus vivaient dans les combles des crématoires II et III, et les autres dans le crématoire V.
L’été torride s’achevait et l’automne s’annonçait. On commença alors à effacer complètement les traces des actions de destruction massive de l’été. Le commando de la démolition récemment constitué se chargeait de combler les fosses, d’aplanir le terrain, d’évacuer les énormes amoncellements de cendres qui subsistaient, de planter des arbres et de recouvrir la terre de plaques de gazon. Mais des convois de juifs continuaient à affluer de Theresienstadt et de Slovaquie. À une cadence il est vrai moins intense que par le passé. Il y avait aussi des transports de tziganes, que l’on conduisait directement sur la rampe. Après la « sélection », ils étaient presque tous gazés, avec les « musulmans » du camp, qui étaient toujours envoyés à la mort.
Un jour, un petit groupe de juifs slovaques arriva dans le crématoire V. Alors qu’ils étaient en train de se déshabiller dans l’une des chambres à gaz, j’aperçus parmi eux trois connaissances de ma ville natale de Sered. Il s’agissait des frères Klug et de Klara Sonnenfeld. Cette dernière portait un panier dans lequel était couché un bébé. Lorsque Gorges fut parti, j’abordai Erwin Klug, qui pouvait alors avoir quarante-cinq ans et exerçait autrefois le métier de conducteur de fiacre à Sered. Lui ayant demandé s’il me reconnaissait, il me regarda attentivement et fit de la tête un signe négatif. Cela ne me surprenait pas car j’étais devenu chauve, et, avec ma tenue zébrée, offrais à ces hommes qui venaient d’arriver à Birkenau un spectacle inhabituel.
— Je suis le fils de Jan Müller, lui dis-je, vous avez certainement dû me connaître.
Il se souvint alors de moi. Je m’informai de leur provenance et appris qu’ils avaient été rassemblés dans le camp de tri de Sered. De la rampe, où ils avaient échappé à la « sélection », on les avait conduits au sauna où ils devaient être désinfectés. Après avoir retiré leurs vêtements pour se rendre aux douches, ils avaient été invités avec quelques autres déportés à se rhabiller et à attendre des instructions. Quelques minutes plus tard ils avaient été conduits ici par un poste de garde S.S.
Comme ces hommes venaient de ma ville natale, j’étais curieux de savoir ce qu’était devenu mon oncle Bela Steiner dont j’avais reçu une carte du camp de concentration de Sered au cours de l’été de 1943.
Erwin Klug hésita d’abord à me répondre. Je remarquai qu’il faisait des efforts pour me dire la vérité. Puis il me déclara en m’assurant de sa sympathie et de l’intérêt qu’il me portait, que mon oncle avait été fusillé quelques jours plus tôt avec d’autres juifs dans la forêt. Je compris alors que j’étais le seul survivant de toute ma famille. Puis Klug commença à me poser des questions. Étant à cent lieues de se douter de la situation périlleuse dans laquelle ils se trouvaient, il voulait savoir où ils étaient et ce qu’ils allaient devenir. J’étais évidemment bien embarrassé pour lui donner une réponse. Tandis que mes compatriotes me regardaient avec anxiété, impatients de savoir, les pensées tournoyaient dans ma tête. Comment leur annoncer sans ambages que leur dernière heure était arrivée ? Alors que dans la salle voisine du déshabillage on faisait les derniers préparatifs en vue de les abattre, je m’éloignai et leur suggérai d’une voix tremblante d’émotion de réciter le Kaddisch. Puis je me retirai jusqu’aux
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