Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
serpent, le long du mur du crématoire en traînant mon lourd pique-feu. Après avoir progressé d’un mètre, j’épiai dans toutes les directions. Je reconnus sur ma gauche le réseau de fils de fer barbelés qui séparait le crématoire IV du camp des effets. Derrière moi, je vis les baraques de bois abandonnées, parcimonieusement éclairées par une lampe à arc et qui étaient remplies de vêtements, de linge, de coffres et de toutes sortes d’autres objets. Il y avait également sur leur seuil des monceaux de hardes abandonnées.
Derrière, j’apercevais le faisceau conique de la lumière des projecteurs qui balayaient de droite à gauche et inversement tout le secteur du camp B. II, indiquant que les choses suivaient leur cours habituel.
Alors que je me faufilais, toujours en rampant, je perçus un bruit dans le crématoire V voisin. On attisait le feu dans les fours et je me représentai exactement la scène. Mais tout cela m’était maintenant indifférent. Je ne pensais plus cette nuit-là qu’à m’évader.
Je continuai à ramper mètre par mètre jusqu’au portail donnant accès à l’entrepôt des effets. Grâce au clair de lune, je voyais nettement mon chemin, mais de leur côté les sentinelles S.S. voyaient aussi la campagne comme en plein jour. Tout se passait comme prévu, et il n’y avait aucun signe indiquant que mon projet pouvait échouer. Je faisais de courtes pauses pour reprendre haleine et observer attentivement les environs. J’avais peut-être parcouru les deux tiers de mon chemin lorsque j’entendis soudain des voix. Je demeurai immobile, épiant dans la direction de ce bruit. Je reconnus alors distinctement les silhouettes de plusieurs sentinelles S.S., qui faisaient les cent pas devant le portail et parlaient entre elles. Sous le coup de l’émotion je sentis mon cœur battre à tout rompre. Mon plan ne pouvait plus réussir. L’alarme avait été donnée et les postes de garde avaient été renforcés. Il ne me restait plus qu’à rebrousser chemin le plus discrètement possible.
Je regagnai donc prudemment le crématoire IV et remontai dans ma cachette du canal d’évacuation. C’était pour le moment le refuge le plus sûr. Exténué, je ne tardai pas à m’endormir. Je fus réveillé par des voix qui venaient du local d’incinération. Dehors, il devait commencer à faire jour. Je prêtai l’oreille aux moindres bruits et je crus reconnaître la voix de Schlojme. Je relevai avec précaution la plaque de fermeture et jetai un coup d’œil pour voir ce qui se passait. Lorsque je fus assuré que c’était bien le kapo qui se tenait devant le four, je relevai complètement le couvercle de fonte, poussai Schlojme sur le côté et lui demandai ce qui se passait dehors. Il me fit signe que je pouvais sortir. Je courus dans la cour après m’être rendu compte que tout était en ordre et m’intégrai à un groupe de détenus occupés à charger des cadavres sur un tombereau. Je devais être affreusement sale et couvert de suie, car Schlojme me recommanda de disparaître et d’aller me laver. Il m’apporta une tenue propre de détenu et, après mon nettoyage, je retournai dans la cour à l’emplacement où l’on déchargeait le tombereau. J’aidai ensuite les autres à traîner les corps dans la salle de déshabillage.
Je rencontrai alors un groupe de S.S., parmi lesquels se trouvaient Gorges et Busch. Mon cœur se mit à battre plus vite. Qu’allait-il se passer s’ils me découvraient là ? Mais mes craintes étaient mal fondées et les S.S. ne réagirent pas en me voyant avec les autres détenus. Pour eux j’avais manifestement travaillé avec le groupe depuis le début. Ils semblaient d’ailleurs ne pas avoir une idée exacte des événements de la veille et ignorer le nombre des survivants comme celui des victimes, évalué selon nous à environ 200 détenus.
Dans l’après-midi, quelques camions s’arrêtèrent devant le crématoire. Ils étaient bourrés de morts qu’il nous fallut décharger. Il s’agissait sans doute des 250 camarades qui avaient travaillé dans les crématoires II et III. Les tenues de la plupart d’entre eux étaient imprégnées de sang et lacérées par les balles, certaines trouées comme une écumoire. Des blessés remuaient encore entre les morts. Ils n’avaient pas été abattus dans l’espoir qu’ils pourraient indiquer l’origine de leurs armes et de leurs munitions.
Nous apprîmes également la
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