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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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leur mère éperdue de
chagrin s’était raccrochée à cette promesse, s’était persuadée que Sony aurait un brillant avenir, des chances qu’elle
n’aurait peut-être pas réussi, elle, simple coiffeuse, à lui
donner.
    Norah ne pouvait toujours pas se souvenir sans suffoquer du jour où elle était rentrée de l’école et avait trouvé
la lettre de son père.
    Elleavait huit ans, sa sœur neuf, et dans la chambre que
partageaient les trois enfants les affaires de Sony avaient
disparu — ses vêtements dans le tiroir de la commode, son
sac de Lego, son ours.
    Sa première pensée avait été de dissimuler la lettre et,
par quelque moyen miraculeux, la réalité du départ de Sony
et de leur père, afin que sa mère ne s’aperçût de rien.
    Puis, comprenant son impuissance, elle avait tourné dans
le sombre petit appartement, éblouie de peine et d’appréhension, sidérée de constater que ce qui avait été accompli,
que ce qui était souffert serait accompli et souffert pour
toujours et que, cette heure terrible, plus rien ne pourrait
faire qu’elle n’eût pas eu lieu.
    Elle avait ensuite pris le métro pour se rendre jusqu’au
salon de coiffure où travaillait sa mère.
    Se rappeler exactement l’instant où elle lui disait ce qui
avait été accompli, ce qui serait souffert encore, trente ans
plus tard elle n’en avait toujours pas la force.
    Tout au plus pouvait-elle s’approcher, avec précaution,
du visage hagard de sa mère assise sur le lit de Sony, lissant frénétiquement du plat de la main le dessus-de-lit en
chenille bleu pâle et répétant d’une voix grêle, d’une voix
de clochette : Il est trop petit pour vivre sans moi, cinq ans,
c’est beaucoup trop petit.
    Leur père avait téléphoné dès le lendemain de son arrivée, triomphant, plein d’entrain, et leur mère s’était évertuée à répondre de façon conciliante et presque paisible,
craignant par-dessus tout que cet homme qui détestait le
conflit ouvert interrompît toute relation s’il la trouvait,
elle, revendicative.
    Il avait permis à Sony de parler au téléphone mais avait
reprisle combiné quand l’enfant, entendant la voix de sa
mère, s’était mis à pleurer.
    Le temps avait passé et la situation inacceptable, amère,
déchirante s’était diluée dans la matière des jours, fondue
dans la normalité de l’existence que troublait régulièrement une lettre malhabile et convenue de Sony à laquelle
Norah et sa sœur devaient répondre de manière tout aussi
formelle afin que, calculait leur mère, il apparût à leur père
qu’il ne risquait rien à autoriser plus de contacts.
    Combien accommodante et tristement rusée s’était montrée, dans sa détresse, cette femme douce, hébétée.
    Elle avait continué d’acheter des vêtements pour Sony,
qu’elle pliait soigneusement dans le tiroir de la commode
qui avait été celui du garçon.
    — Pour quand il reviendra, disait-elle.
    Mais, que Sony ne reviendrait jamais, Norah et sa sœur
l’avaient su dès le début, connaissant, elles, le cœur indifférent, le cœur inattentif de leur père et son penchant à
soumettre son entourage à sa froide volonté.
    S’il avait décidé que Sony lui revenait de droit, il oublierait tout ce qui pouvait freiner son désir d’avoir auprès de
lui son unique fils.
    La violence d’un tel exil pour Sony, il la tiendrait négligeable, la souffrance de sa mère, inévitable mais passagère.
    Car leur père était ainsi, un homme implacable et terrible.
    Norah et sa sœur savaient, à l’époque où leur mère
attendait encore le retour de Sony, qu’elle n’avait pas pris
la mesure de cette intransigeance.
    Leur père refuserait toujours d’envoyer le garçon en
France pour les vacances.
    Caril était ainsi, un homme implacable, terrible.
    Les années passaient et la douloureuse complaisance de
leur mère ne fut récompensée que d’une invitation à venir
visiter leur frère pour Norah et sa sœur.
    — Pourquoi ne veux-tu pas qu’il vienne nous voir, lui ?
cria leur mère au téléphone, le visage défiguré par les
pleurs.
    — Parce que je sais que tu ne le laisserais pas repartir, répondit probablement leur père, tranquille, sûr de lui,
légèrement ennuyé peut-être car il n’aimait pas les larmes
ni les cris.
    — Mais si, je te le jure !
    Mais il savait qu’elle mentait, elle le savait aussi et, suffocante, ne put rien ajouter.
    Que leur père

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