Trois femmes puissantes
corrects, qui montra une certaine bonté
pour Norah et sa sœur et les accompagna même toutes les
trois rendre visite, pour la première fois ensemble, à Sony,
sur l’invitation de leur père.
Leur mère n’avait jamais revu le garçon depuis qu’il
était parti.
Sony avait maintenant seize ans.
Apprenant le remariage de leur mère, leur père les avait
aussitôt invités, elle et son nouveau mari, et leur avait
réservé à ses frais plusieurs nuitées dans le meilleur hôtel
de la ville et c’était comme si, avait songé Norah, il avait
attenduque leur mère refasse sa vie pour cesser de craindre qu’elle veuille emmener Sony.
Et c’est ainsi qu’ils se retrouvèrent tous, pareils à une
grande famille harmonieusement recomposée, Norah et sa
sœur, leur mère et son mari, Sony et leur père, dans la salle
à manger de l’hôtel, attablés devant des plats délicats, leur
père et le mari discutant non sans gêne mais posément de
la situation internationale tandis que le garçon et sa mère,
assis l’un près de l’autre, se lançaient des regards furtifs,
embarrassés.
Sony était, comme toujours, superbement vêtu d’un costume de lin sombre, sa peau était fine et douce, ses cheveux taillés en afro courte.
Leur mère avait sa nouvelle figure figée, sa bouche un
peu tordue, son casque de cheveux laqués blond-blanc et
Norah voyait qu’elle prenait garde, en interrogeant Sony
sur son collège et ses matières de prédilection, de ne pas
faire de fautes de syntaxe ou de grammaire, car elle pensait Sony bien plus instruit qu’elle, plus raffiné, et elle en
était humiliée et malheureuse.
Leur père les regardait avec un air de contentement soulagé, comme s’il avait enfin convaincu de se réconcilier
deux ennemis de longue date.
Est-ce vraiment, se demandait Norah ébahie, hargneuse,
ce qu’il pense à présent ?
Est-il parvenu à se persuader que c’est Sony et notre
mère qui ont refusé de se rencontrer pendant toutes ces
années ?
Leur père, longtemps auparavant, avait répondu un jour
au téléphone à leur mère qui, anéantie de chagrin, lui disait
qu’elle allait emprunter l’argent du billet d’avion et aller
voirson fils chez lui, puisqu’il refusait d’envoyer Sony en
vacances chez elle : Si je te vois débarquer, je lui tranche
la gorge et la mienne après sous tes yeux.
Mais était-il homme à se trancher la gorge ?
Il était là maintenant, présidant la tablée, charmant,
superbe, d’une exquise politesse, et ses yeux sombres et
froids luisaient d’affection et d’orgueil quand il les posait
sur l’adorable visage de Sony.
Norah remarqua que son frère ne considérait jamais personne directement.
Son regard affable, impersonnel allait d’un visage à
l’autre sans s’arrêter sur aucun et il fixait avec attention,
lorsqu’on lui parlait, quelque point invisible de l’espace,
sans pour autant cesser de sourire ni de donner à ses traits
une expression d’intérêt formel pour tout ce qu’on pouvait
lui dire.
Il évitait particulièrement de se laisser surprendre, attraper, songeait Norah, par le regard de leur père.
Même ainsi, même quand leur père le contemplait et
que Sony regardait ailleurs, il semblait se retirer, se lover
dans les profondeurs de son être où là seulement il était à
l’abri de tout jugement ou sentiment le concernant.
Il échangea quelques mots avec le mari de sa mère, puis
encore avec celle-ci, péniblement car elle était arrivée au
bout de ce qu’elle osait lui demander.
Le déjeuner fini, ils se séparèrent et bien qu’il restât
quelques jours avant le départ, Sony et leur mère ne se
revirent plus et leur mère n’évoqua plus jamais Sony.
Leur père avait organisé un fastueux programme touristique, engagé pour leur mère et son mari un guide et un
chauffeuret même offert quelques nuits de plus dans l’un
des bungalows de son village de vacances, à Dara Salam.
Mais leur mère refusa tout cela, elle renvoya le guide et
la voiture et fit avancer la date de leur retour.
Elle ne quitta plus l’hôtel, passant de sa chambre à la
piscine en souriant à la manière de Sony, machinale et
lointaine, très calme, et Norah et sa sœur se chargèrent de
promener le mari à qui tout faisait plaisir et qui ne se plaignait de rien, et, le dernier soir, ne sachant plus où aller,
elles l’emmenèrent avec elles dîner chez leur père où les
deux
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