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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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que tout à l’heure — Jakob, Grete et Lucie
qui se faisaient servir des jus de bissap.
    Ils ne l’avaient pas aperçue encore.
    Les deux petites filles, vêtues de ces robes à rayures
rouges et blanches, courtes manches ballons et smocks sur
la poitrine qu’elle avait, après coup, regretté d’avoir achetées (n’avait-elle pas songé que son père aurait approuvé
ce choix, ce vague désir de transformer les fillettes en poupées coûteuses ?) et coiffées d’un bob assorti, bavardaient
gaiement, lançant parfois à Jakob une remarque à laquelle
il répondait sur le même ton calme et allègre.
    Et ce fut ce que Norah observa tout d’abord et qui l’enveloppa d’un étrange vague à l’âme : la tranquille animation de leur badinage.
    Se pouvait-il que l’excitation malsaine qu’elle soupçonnait Jakob de provoquer et d’entretenir fût déclenchée par
saseule présence à elle, Norah, et que finalement tout se
passât mieux quand elle n’était pas là ?
    Il lui semblait n’avoir jamais su entourer les enfants de
la sérénité qu’elle voyait, là, baignant le petit groupe.
    L’ombre rose du parasol donnait à leur peau une même
carnation fraîche, innocente.
    Oh, se dit-elle, cette mauvaise fébrilité, ne l’avait-elle
pas inventée peut-être ?
    Elle s’approcha de la table, tira une chaise, s’assit entre
Grete et Lucie.
    — Tiens, bonjour, maman, dit Lucie en se haussant pour
l’embrasser sur la joue.
    Tandis que Grete disait :
    — Bonjour, Norah.
    Elles reprirent leur conversation, qui concernait un personnage du dessin animé qu’elles avaient vu le matin dans
leur chambre.
    — Goûte un peu ça, c’est délicieux, dit Jakob en poussant vers elle son jus de bissap.
    Elle le trouva déjà bronzé et c’était comme si, même, le
soleil avait encore éclairci sa chevelure pâle, qu’il portait
longue dans le cou et sur le front.
    — Montez préparer vos affaires, dit-il aux fillettes.
    Elles quittèrent la table et rentrèrent dans l’hôtel en se
tenant par l’épaule, l’une blonde, l’autre brune, dans une
complicité que Norah n’avait jamais crue entièrement possible car, tout en s’entendant très bien, elles rivalisaient
sourdement pour la première place dans l’affection de
Norah et de Jakob.
    — Tu sais, mon frère, Sony, s’empressa de dire Norah.
    — Oui ?
    Elleinspira brusquement mais ne put s’empêcher de
fondre en larmes, de gros bouillons de pleurs que ses
mains étaient impuissantes à essuyer.
    Jakob lui sécha les joues avec une serviette en papier. Il
la pressa contre lui, tapota son dos.
    Elle se demanda soudain pourquoi elle avait toujours eu
l’impression indéfinissable, quand ils faisaient l’amour,
qu’il se forçait un peu, qu’il payait son dû, leur couvert et
leur logis, à lui et sa fille.
    Car, en cet instant, elle sentait en lui une grande tendresse.
    Elle le serra avec force.
    — Sony est en prison, dit-elle d’une voix rapide,
hachée.
    S’assurant d’un coup d’œil que les enfants n’étaient pas
encore de retour, elle lui raconta que Sony, quatre mois
auparavant, avait étranglé sa belle-mère, cette femme que
leur père avait épousée il y avait quelques années de cela et
que Norah n’avait jamais rencontrée.
    Elle se rappelait que Sony l’avait informée, à l’époque,
de ce remariage, puis de la naissance des jumelles, car leur
père n’avait pas jugé bon de la mettre au courant.
    Mais Sony ne lui avait pas dit qu’il avait entamé une
liaison avec sa belle-mère ni qu’ils avaient tous deux projeté, selon l’article du Soleil , de partir ensemble, jamais
il ne lui avait dit qu’il était tombé follement amoureux de
cette femme qui avait son âge à peu près ni qu’elle s’était
désavouée, qu’elle avait rompu et souhaité le voir partir de
la maison.
    Il l’avait attendue dans sa chambre, où elle dormait
seule.
    —Je sais pourquoi mon père n’y était pas, dit Norah, je
sais où il va la nuit.
    Il l’avait attendue dans la pénombre, debout près de la
porte, pendant qu’elle couchait ses enfants dans une autre
pièce.
    Elle était entrée et il s’était jeté sur elle par-derrière, et
il lui avait passé autour du cou un morceau de fil à linge
plastifié qu’il avait serré jusqu’à l’asphyxie.
    Il avait ensuite couché sur le drap, avec précaution, le
corps de la femme, puis il avait regagné sa propre chambre

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