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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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attente à l’extérieur, elle déposa dans
un bureau son passeport et les papiers que son père lui
avait remis et qui attestaient son droit à visiter Sony.
    Elle confia aussi le sac de nourriture.
    — Vous êtes l’avocate ? lui demanda un gardien dont
l’uniforme était en guenilles.
    Il avait les yeux rouges, luisants, les paupières secouées
de tics.
    —Non, non, dit-elle, je suis sa sœur.
    — Là-dessus, c’est marqué que vous êtes l’avocate.
    Elle répondit avec circonspection :
    — Je suis avocate mais, aujourd’hui, je viens seulement
voir mon frère.
    Il hésita, regarda attentivement les petites fleurs jaunes
qui ornaient la robe verte de Norah.
    Elle fut ensuite introduite dans une grande pièce aux murs
bleuâtres, coupée en deux par un grillage, où se trouvaient
déjà les femmes qui avaient attendu avec elle sur le trottoir.
    Elle s’avança vers le grillage et vit alors entrer de l’autre
côté de la pièce son frère Sony.
    Les hommes qui entraient avec lui se précipitèrent vers
le grillage et il y eut aussitôt un tel brouhaha de conversations qu’elle ne put entendre le bonjour de Sony.
    — Sony, Sony ! cria-t-elle.
    Elle eut un vertige, se raccrocha au grillage.
    Elle s’approcha au plus près des mailles poussiéreuses,
souillées, afin de voir distinctement cet homme de trente-cinq ans qui était son jeune frère et dont elle reconnaissait
derrière la peau abîmée, marquée d’eczéma, le beau visage
allongé et le regard doux, un peu vague, et lorsqu’il lui
sourit c’était de cette façon éclatante et lointaine qu’elle
lui avait toujours connue et qui, comme alors, lui serra la
gorge, car elle avait pressenti et elle savait maintenant que
ce sourire ne visait qu’à garder secrète et intouchée une
misère qui ne se pouvait traduire.
    Il avait les joues couvertes de barbe, les cheveux dressés
sur la tête en mèches de diverses longueurs.
    Ils étaient écrasés du côté où, probablement, Sony dormait.
    Souriant,ne cessant de sourire, il lui parlait mais le bruit
était tel qu’elle n’entendait rien.
    — Sony ! Qu’est-ce que tu dis ? Parle plus fort ! criait-elle.
    Il grattait sauvagement ses tempes, son front blanchis
par l’eczéma.
    — Tu as besoin d’une crème pour ça ? C’est ça que tu
me dis ?
    Il eut l’air indécis, puis il hocha la tête comme s’il lui
importait peu qu’elle se fût méprise et que la crème valait
aussi bien comme réponse.
    Il cria quelque chose, un seul mot.
    Norah entendit clairement cette fois le prénom de leur
sœur.
    Une panique fugace vida son esprit.
    Car sur son ventre à elle aussi un démon s’était assis.
    Il lui parut impossible de décrire maintenant à Sony, de
lui hurler que leur sœur avait eu, ainsi qu’elle le disait elle-même, un problème avec l’alcool, un tel problème en vérité
qu’elle n’avait trouvé d’autre issue que de se réfugier au
sein d’une communauté mystique d’où elle envoyait parfois à Norah des lettres d’illuminée, exaltées et insipides,
et parfois des photos qui la montraient, maigre à faire peur,
les cheveux longs et gris et la lèvre inférieure rentrée dans
la bouche, occupée à méditer sur un carré de mousse crasseux.
    Pouvait-elle gueuler vers Sony : Tout ça, c’est parce que
notre père t’a enlevé à nous quand tu avais cinq ans !
    Non, elle ne le pouvait pas, elle ne pouvait rien dire à
ce visage hagard, à ces yeux creux et morts au-dessus des
lèvres sèches comme détachées de leur propre sourire.
    Lavisite était terminée.
    Les gardiens remmenaient les prisonniers.
    Norah regarda sa montre, il ne s’était écoulé qu’une poignée de minutes depuis son entrée au parloir.
    Elle agita la main vers Sony, lui cria : « Je vais revenir ! » tandis qu’il s’éloignait en traînant les pieds, long,
famélique, vêtu d’un vieux pantalon coupé aux genoux et
d’un tee-shirt sale.
    Il tourna la tête et fit mine de porter une cuiller à sa
bouche.
    — Oui, oui, cria-t-elle encore, il y a à manger pour toi
et aussi du café !
    La chaleur était intolérable.
    Norah se cramponnait au grillage, craignant de perdre
conscience si elle le lâchait.
    Elle sentit alors avec consternation qu’elle était en train
d’uriner sans s’en rendre compte, c’est-à-dire que la sensation lui parvenait d’un liquide tiède le long de ses cuisses,
de ses mollets, jusque dans ses

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