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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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insistante, ne les avait pas réveillés.
    Que se passait-il alors ?
    Sa jambe tressautait nerveusement.
    Elle aurait apprécié, à cet instant, de pouvoir se réfugier
dans le clair-obscur doré parfumé du grand arbre !
    Elle lissa ses cheveux en arrière, refit le chignon maigrelet qu’elle portait sur la nuque et, comme elle tendait
le cou pour saisir son reflet dans le rétroviseur, elle songea
que Sony la reconnaîtrait peut-être difficilement car elle
n’avait pas encore, lorsqu’ils s’étaient vus huit ou neuf ans
auparavant, ces deux sillons de chaque côté de la bouche ni
ce menton un peu épais, grassouillet contre lequel elle se
souvenait d’avoir lutté farouchement étant plus jeune, dans
la conscience vague et coupable que les bourrelets révoltaient son père, puis qu’elle avait laissé s’installer sans
plus de remords et avec, même, une provocante satisfaction à l’idée précisément qu’un tel menton offenserait chez
cet homme délié son goût pour la minceur, dès lors qu’elle
avait décidé d’être libre, de s’affranchir de tout souci de
complaire à son père qui ne l’aimait pas.
    Et voilà, lui, comme il était devenu, englouti dans la
graisse.
    Elle secouait la tête, perdue, effrayée.
    La voiture traversait le centre de la ville et Masseck roulait au ralenti devant les grands hôtels dont il lui citait le
nom sur un ton d’importance.
    Norah reconnut celui où leur mère et son mari avaient
passé quelques jours, du temps où Sony, excellent lycéen,
paraissait voué à de grandes choses.
    Elle n’avait jamais cherché à approfondir les raisons
pourlesquelles Sony était rentré vivre chez leur père après
avoir suivi des études de sciences politiques à Londres, et
pourquoi surtout il n’avait, semblait-il, plus rien fait de sa
vie ni de ses talents.
    C’est qu’elle l’estimait à l’époque bien plus chanceux
qu’elle, qui devait travailler comme serveuse dans un fastfood en même temps qu’elle étudiait, et ne jugeait pas qu’il
était de son devoir de se préoccuper, en plus, de l’équilibre
psychologique de son frère, ce jeune homme trop gâté.
    Un démon s’était assis sur son ventre et ne l’avait plus
quitté.
    Il avait dû, en réalité, souffrir d’une profonde dépression
— pauvre, pauvre garçon, songeait-elle.
    C’est alors qu’elle aperçut, assis à la terrasse de l’hôtel où ils avaient tous autrefois déjeuné, Jakob, Grete et
Lucie.
    Elle ferma les yeux, l’échine glacée.
    Quand elle les rouvrit, Masseck s’était engagé dans une
autre rue.
    Ils longeaient la corniche, l’odeur de la mer s’insinuait
jusqu’à l’intérieur de la voiture.
    Masseck ne disait plus rien et son visage, que Norah
voyait de profil, avait pris un air buté, renfrogné, presque
blessé comme si, en l’obligeant à rouler vers Reubeuss, on
lui faisait personnellement offense.
    Il se gara en face des hauts murs gris de la prison.
    Elle fit la queue en compagnie d’un grand nombre de
femmes, dans la chaleur sèche, ventée, et constatant que
toutes avaient posé sur le trottoir les paquets et cabas qu’elles transportaient, elle fit de même avec le sac en plastique
que lui avait remis Masseck en lui disant avec réticence,
pleind’un dédain outragé, qu’il contenait de la nourriture
et du café pour Sony.
    Puis, devant l’attendre et contraint de laisser sa portière
ouverte pour ne pas étouffer, il s’était installé sur son siège
de telle façon qu’on ne voie pas sa figure.
    Il n’y a pas tant de honte à avoir, avait-elle failli lui
dire.
    Elle s’était retenue pourtant, se disant : Est-ce bien certain ?
    La nausée lui tordait l’estomac.
    Qui étaient en réalité ces trois personnes qu’elle avait
vues à la terrasse du grand hôtel ?
    Elle-même, Norah, et sa sœur étant petites, accompagnées d’un étranger quelconque ?
    Oh non, elle était sûre qu’il s’agissait de sa fille et de
Grete avec Jakob, les deux enfants portaient d’ailleurs une
petite robe rayée et un bob assorti qu’elle avait reconnus
pour les avoir achetés l’été précédent avec, elle s’en souvenait, un accès de repentir dès sa sortie du magasin, car il
s’agissait de tenues peut-être excessivement élégantes pour
des fillettes, telles que sa sœur et elle n’en avaient jamais
portées.
    Quel démon s’était assis sur le ventre de sa sœur ?
    Après une longue

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