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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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songea qu’il ne pourrait maintenant éviter d’arriver à ce point en retard chez Manille qu’il
lui faudrait passer par le bureau de ce dernier avec une
excuse relativement inédite.
    Il en était comme satisfait, obscurément.
    Il savait que Manille était fatigué de lui, de ses retards
fréquents, de sa mauvaise humeur ou de ce qu’un homme
naturellementaffable et commerçant comme Manille
devait appeler ainsi lorsque Rudy estimait que le quant-à-soi farouchement défendu comptait parmi ses droits
fondamentaux d’employé mal payé, et bien qu’il appréciât Manille par ailleurs il lui plaisait de ne pas être, lui,
apprécié de Manille, de ce type d’hommes pragmatiques et
finasseurs, bornés mais, dans les limites très serrées de ses
facultés, étonnamment doué, presque talentueux.
    Il savait que Manille l’aurait aimé et respecté et aurait
même excusé son caractère difficile si Rudy s’était révélé
habile vendeur de cuisines, il savait que Manille n’aurait
pas tant prisé la capacité de faire gagner de l’argent à l’entreprise que la simple et belle compétence en un domaine
précis et il savait tout aussi bien qu’il n’était aux yeux de
Manille ni qualifié ni ingénieux ni volontaire, ni, pour couvrir une telle nullité, seulement gentil.
    Manille ne le gardait que par une forme particulière
d’indulgence, songeait Rudy, de pitié compliquée — car
pourquoi Manille aurait-il eu vraiment pitié de lui ?
    Que savait-il de la situation précise de Rudy ?
    Oh, peu de chose, Rudy ne se confiant jamais à quiconque, mais il devait percevoir, cet homme rude, aimable, roublard, que Rudy était à sa façon un déclassé et que,
jusqu’au moment où cela ne serait plus supportable, il
incombait à des types comme lui, Manille, qui se sentaient
parfaitement à leur place là où ils étaient, de le protéger.
    Rudy comprenait le raisonnement non formulé de
Manille.
    Quoique reconnaissant, il en était humilié.
    Allez vous faire foutre, je n’ai pas besoin de vous, petit
entrepreneur à la noix, marchand de cuisines rustiques.
    Maisque deviendras-tu, Rudy Descas, quand Manille te
mettra à la porte l’air sincèrement navré, ennuyé mais bien
forcé de laisser entendre que tu as tout fait pour en venir là ?
    Il était sûr de devoir à maman son emploi chez Manille,
quoiqu’elle n’eût jamais avoué être allée parler à ce dernier
(et, nécessairement, le supplier, le coin de ses paupières,
qu’elle avait tombantes, tout humide et rose, son long nez
rougi par l’infamie d’une telle démarche) et que la raison
qui avait obligé Rudy à chercher du travail fût trop douloureuse pour qu’il ait eu le courage de revenir avec elle sur
cette question.
    Je me fiche de Manille, ça oui.
    Comment pouvait-il perdre du temps à rêvasser autour
de Manille alors qu’il ne se rappelait pas les termes exacts
de ce qu’il avait dit le matin même à Fanta et qu’il n’aurait
jamais, en aucun cas, dû lui dire, car il lui semblait que
cela se retournerait de la plus terrible manière contre lui
si elle s’avisait ou trouvait l’occasion de le prendre au
mot, qu’il parviendrait ainsi au résultat absolument inverse
de celui auquel il s’efforçait de travailler depuis un bon
moment déjà.
    Tu peux retourner d’où tu viens.
    Il allait lui téléphoner et lui demander de lui répéter
les mots précis de leur violent échange et ce qui l’avait
provoqué.
    Il était impossible qu’il lui eût dit cela.
    Il le croyait, songea-t-il, parce qu’il avait cette propension à se sentir toujours plus blâmable qu’il ne l’était, à
s’accuser du pire vis-à-vis d’elle qui ne pouvait avoir ni
mauvaises pensées ni visées ambiguës puisqu’elle était si
démunie et, à juste titre, si déçue — si déçue !
    Laseule pensée qu’elle pût obéir à ces mots affreux lui
causa un afflux de sueur à la face et dans le cou.
    Puis, presque aussitôt, il fut parcouru de frissons.
    Avec un désespoir d’enfant il souhaita alors s’arracher
à ce rêve interminable, ce rêve monotone et froid dans
lequel Fanta allait le quitter parce qu’il le lui aurait, sans
pouvoir se le rappeler, en quelque sorte ordonné, et alors
que rien de plus horrible ne pouvait lui tomber dessus — il
le savait, n’est-ce pas, car elle l’avait déjà fait, elle avait
déjà tenté de le faire, pas vrai, Rudy Descas ?
    Il chassa

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