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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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qu’il était en tout cas certain de n’avoir jamais
pensés…
    Il décrocha de nouveau le combiné, si brusquement
que celui-ci lui échappa et alla frapper le verre, au bout de
son fil.
    Ilsortit de la poche de son jean son vieux répertoire
corné et chercha le numéro de Mme Pulmaire bien qu’il
fût certain, ayant déjà appelé tant de fois la vieille garce,
qu’il aurait pu le composer de mémoire.
    Elle n’était pas si décrépite, du reste, à peine l’âge
de maman, mais elle avait ces manières de vieille, cette
façon de ravaler ostensiblement sa vertu pour descendre au
niveau des requêtes compliquées et légèrement répugnantes qu’il avait coutume de lui adresser depuis qu’ils étaient
voisins, elle ayant sans doute mis un point d’honneur à ne
jamais rien leur demander.
    Elle décrocha aussitôt, comme il s’y attendait.
    — C’est Rudy Descas, madame Pulmaire.
    — Oh.
    — Je voulais juste savoir si… si vous auriez pu aller
voir à la maison, vérifier que tout va bien.
    Et il sentait cogner et cogner son cœur en même temps
qu’il s’efforçait de donner à sa voix un détachement dont
Pulmaire ne serait pas dupe une seconde et il était prêt à
gémir et à supplier le dieu de maman, ce bon petit dieu
qui finalement semblait l’avoir, maman, plus ou moins
entendue et exaucée, au lieu de quoi il retenait son souffle, transi dans sa sueur malgré l’air suffocant de la cabine,
isolé soudain en un temps immobile (et tout lui paraissait
figé alentour et en suspens anxieux la frondaison des chênes verts et les feuilles des vignes et les nuages floconneux
dans le bleu pétrifié du ciel) que seule pourrait remettre
en mouvement l’annonce que Fanta était bien à la maison
— et qu’elle était heureuse et qu’elle l’aimait et n’avait
jamais cessé de l’aimer ?
    Non, ceci, Pulmaire ne le lui dirait pas, n’est-ce pas ?
    Ellelui disait dans un susurrement, une affectation de
     douceur :
    — Qu’est-ce qu’il se passe, Rudy ? Quelque chose ne
va pas ?
    — Non, rien de spécial, je me disais juste… comme je
n’arrive pas à joindre ma femme…
    — Vous m’appelez d’où, Rudy ?
    Sachant qu’elle n’avait pas à le demander, sachant aussi
qu’il n’oserait l’envoyer promener avant qu’elle eût daigné transporter sa lourde masse de chair auguste et inutile
jusqu’au foyer Descas, jeter un œil par la fenêtre dépourvue de rideaux ou sonner à la porte afin que cette femme
bizarre qu’il avait, cette Fanta qui avait bel et bien disparu
une fois, puisse prouver qu’elle n’était ni en fuite ni écroulée quelque part dans un coin de cette triste petite maison
à demi restaurée — ah, comme il était las de comprendre
si bien la Pulmaire, comme il se sentait souillé par les relations de ce genre.
    — Je vous appelle d’une cabine.
    — Vous n’êtes pas au travail, Rudy ?
    — Non ! cria-t-il. Et alors, madame Pulmaire ?
    Un long silence, non pas choqué ni surpris, la vieille
Pulmaire n’en étant plus à d’aussi puériles émotions, mais
chargé d’une pesante dignité qui devait, si Rudy avait
encore un peu de respect humain, l’amener à la contrition.
    Il s’entendait haleter dans le combiné.
    Et il sentait monter en lui de nouveau, comme ce matin-là quand Fanta l’avait bravé par ses paroles ou peut-être
par son silence, il ne savait plus (mais lui dirait-on enfin
combien de temps un homme qui lutte pour la survie de
son honneur d’homme et de père et de mari et de fils, un
hommequi tente chaque jour d’empêcher que s’effondre
ce qu’il a bâti, combien de temps cet homme peut supporter d’être la cible de reproches inchangés, formulés ou lancés par le regard d’un œil scrutateur, amer et sans pitié,
et s’il peut le supporter front blanc et sourire aux lèvres
comme si la sainteté participait également de son devoir,
le lui dirait-on enfin, et qui, lui que ses amis avaient abandonné ?), cette colère chaude, presque douce, presque cordiale, à laquelle il savait bien qu’il devait résister mais qu’il
était si bon aussi de ne pas entraver, si bon et si réconfortant — au point qu’il se prenait parfois à songer : Cette
colère familière, n’est-ce pas tout ce qu’il me reste, n’ai-je
pas tout perdu en dehors d’elle ?
    Il colla sa bouche au plastique moite.
    — Maintenant, hurla-t-il, vous allez bouger votre gros
cul et faire ce

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