Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
Vom Netzwerk:
fronça les sourcils
avec inquiétude.
    — Rudy, ça ne va pas ?
    Il grimaça un sourire.
    Oh, comme il avait mal et comme il se sentait furieux
d’avoir mal.
    — Qui a posé les brochures sur ma table ? demanda-t-il.
    — Je te l’ai dit, ta mère est venue ce matin.
    — C’est elle qui les a posées là, en personne ?
    Elle haussa les épaules sans comprendre, un peu agacée.
    — Je ne vois pas qui d’autre aurait pu le faire.
    — Mais tu ne l’as pas vue ?
    Cathie maintenant souriait froidement, avec une impatience ostensiblement contenue.
    — Écoute, Rudy, je sais que ta mère est venue avec
ses… espèces de tracts, je l’ai aperçue dans le hall, mais il
se trouve que je n’étais pas devant ma table quand elle est
venue les déposer.
    Ilbondit de sa chaise, soudain enivré de rage et de douleur.
    Comment vouloir être bon quand on souffre comme
un chien ? lui soufflait néanmoins une petite voix désolée, celle du paisible, joyeux, séduisant Rudy Descas qu’il
aspirait tant à être de nouveau, avec sa morale impitoyable
pour lui-même et douce aux autres.
    Et c’est avec horreur, avec effroi qu’il remarqua le mouvement de peur qui tassa très légèrement Cathie sur sa
chaise lorsqu’il s’approcha d’elle.
    Il sentit que les autres, autour, le regardaient, silencieux.
    Était-il donc devenu de ces hommes que craignent les
femmes et que ne respectent nullement les autres hommes, que méprisent même profondément les êtres sachant,
comme Manille, soumettre leur force ?
    Il se sentit soudain terriblement malheureux, lâche, inutile.
    Il attrapa le paquet de brochures et le jeta sur le bureau
     de Cathie.
    Il sautillait d’un pied sur l’autre, trompant la douleur par
le frottement de son slip sur ses chairs enflammées.
    — Et cette bonne petite blague, elle est de qui, alors ?
s’écria-t-il en posant le doigt sur le sexe de l’ange.
    Cathie jeta un coup d’œil prudent à l’image.
    — Aucune idée, marmonna-t-elle.
    Il reprit le paquet, revint à son bureau.
    L’un de ses collègues, au fond de la salle, fit entendre un
petit sifflement réprobateur.
    — Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? Je vous emmerde ! cria
Rudy.
    —Là, mon grand, tu vas trop loin, dit Cathie sèchement.
    — Je veux juste qu’on fiche la paix à ma mère.
    Car il ne démordait pas de l’idée qu’on avait voulu
humilier maman en griffonnant de façon obscène sur son
dessin et, quoiqu’il détestât depuis toujours cette sainte
propagande et refusât systématiquement d’en discuter, la
passion appliquée avec laquelle elle rédigeait et illustrait
ses messages, se donnant beaucoup de mal pour livrer le
meilleur de son pauvre talent, le contraignait, lui semblait-il, à la défendre.
    Personne d’autre que lui ne pouvait le faire, ainsi de
ces rêves comminatoires, implacables, sans issue où vous
incombe une lourde, une insurmontable et aberrante responsabilité, personne d’autre que lui ne pouvait défendre
cette femme déraisonnable.
    Et il se rappelait confusément quand et comment lui
était apparu le sentiment de cette obligation et ce souvenir était si gênant qu’un afflux de sang lui monta aux
joues, tandis qu’une crise plus forte encore lui taraudait
l’anus.
    Ils sont parmi nous, purs esprits, et s’adressent à nous
par la pensée, même à table, même pour demander le sel
ou le pain.
    Qui est ton ange gardien, Rudy, quel est son nom et quel
est son rang dans la hiérarchie angélique ?
    Le père de Rudy avait négligé son ange, traitant son
chien avec plus d’égards, c’est pourquoi, avait laissé entendre maman, il avait eu à subir une si triste fin, puisque son
ange l’avait perdu de vue ou s’était épuisé à le chercher
dans les ténèbres de l’indifférence et du pragmatisme.
    Lepère de Rudy, lorsque tout allait encore bien pour lui,
s’était ingénié, par malice, par vanité, à semer son ange,
oh, les hommes sont tellement présomptueux.
    Où se trouvait alors, s’était demandé Rudy, où pouvait
bien se trouver alors l’ange gardien de l’associé de son
père au moment où ce dernier lui avait roulé sur le corps
après l’avoir assommé ?
    Avait-il été également, cet associé, un homme impudent,
trop sûr de lui, qui s’était amusé à égarer son ange, ou bien
les Africains avaient-ils en général la malchance d’être
mal gardés, leurs anges souffraient-ils d’incompétence et

Weitere Kostenlose Bücher