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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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s’altéra, mourut dans l’embarras et la conscience
de l’inutile.
    Il était trop tard, trop tard de toute façon.
    N’aurait-il pas dû, cette glycine admirable, tenter de la
sauver ?
    Comment avait-il pu imaginer que Menotti l’épargnerait ?
    Comment avait-il pu, ayant constaté la brutalité de
Menotti envers une nature qui n’était qu’ennemie et
menace d’invasion, tranquillement tourner le dos à la
glycine dont l’arrêt de mort était tombé de la bouche de
Menotti, sèchement, lorsque celle-ci avait évoqué la corvée de feuilles ?
    Il poussa le portillon, monta les quelques marches du
     perron.
    La maison se tenait à présent solitaire au milieu du terrain herbeux et le soleil frappait sévèrement Menotti.
    La glycine avait ombragé doucement cette même terrasse, ce même seuil de ciment, se rappelait Rudy effondré, et n’y avait-il pas eu aussi, au coin, un gros laurier
qui exhalait paisiblement dans l’air chaud ses senteurs
d’aromate ?
    Disparu, le laurier, comme le reste.
    Ilpercevait, flottant autour de Menotti, une odeur de
     fosse septique.
    — Monsieur Descas, vous êtes un incapable, vous êtes
un monstre.
    Les yeux humides encore, mais indifférent à ce qu’elle
pouvait penser (c’était comme si, quoique cherchant
encore à l’atteindre, la honte ne pouvait plus le trouver), il
affronta le regard scandalisé de Menotti.
    Il comprit qu’elle avait largement passé le cap de l’indignation, qu’elle errait maintenant dans une zone trouble,
proche du désespoir et d’une certaine griserie, où le moindre empêchement devait lui apparaître comme une agression déterminée.
    Il comprit aussi qu’elle était, à sa manière, d’une absolue sincérité.
    Alors une vague pitié le disputa en lui à la rancune.
    Il se sentit soudain très fatigué, abattu.
    Un nouvel accès de picotements attaqua son anus et il
ne fit aucun effort, songeant à la glycine assassinée, pour
préserver l’éventuelle pudeur de Menotti, pas plus que la
sienne, incertaine et lasse.
    À travers l’épaisseur du jean, il se gratta avec vigueur,
avec hargne.
    Menotti ne parut pas le remarquer.
    Elle semblait hésiter maintenant entre la nécessité de
le faire entrer (et il commençait à entrevoir la nature du
problème, ce qu’elle lui reprochait) et une volonté presque
aussi forte de n’avoir plus jamais affaire avec lui.
    Enfin elle se détourna, fouetta l’air d’un geste sec pour
lui intimer de la suivre.
    Il vit que ses épaules tremblaient, tant elle était émue.
    C’étaitla première fois qu’il revenait dans cette maison
depuis qu’il avait pris les mesures de la cuisine plusieurs
mois auparavant.
    Et alors que s’amorçait en lui, comme il traversait l’entrée puis la salle à manger derrière Menotti, un pénible
processus de discernement, tandis qu’une sensation de
froid gagnait ses entrailles tandis que se précisaient dans
son esprit les contours de sa faute, cette dernière lui sauta
à la figure dans toute la brutalité de son évidence.
    Il s’arrêta au seuil de la cuisine.
    Frappé d’horreur, il eut peine à contenir un éclat de rire
hystérique.
    Il se gratta frénétiquement, sans y songer, tandis que
Menotti se laissait tomber sur une chaise encore emballée
de plastique.
    Elle remontait sans cesse, inutilement, ses lunettes sur
son nez, d’un doigt féroce.
    Une trépidation convulsive agitait son genou.
    — Mon Dieu, mon Dieu, laissa échapper Rudy.
    Et il sentait maintenant l’humiliation rougir et chauffer
sa nuque, ses joues.
    Comment avait-il pu, lui qui avait tant travaillé, commettre une telle erreur de calcul ?
    Il se savait peu capable en ce domaine mais il avait secrètement tiré orgueil de son manque de talent pour concevoir
ces cuisines qu’il méprisait, à tel point que, bridé par son
arrogance, il avait empêché toute amélioration notable de
ses capacités.
    Il ne voulait pas devenir bon dans le métier.
    Il lui avait semblé que cette résistance préservait de la
désagrégation complète l’érudition qu’il avait acquise
dansson ancienne vie, ces connaissances subtiles et rares
que, depuis longtemps, il n’avait plus la force, le courage,
le désir de cultiver, d’entretenir, et qui perdaient de leur
sûreté et de leur précision.
    Mais une erreur pareille n’était que ridicule, pitoyable
et n’avantageait en rien l’homme raffiné qu’il pensait avoir
été, oh non,

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