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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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qu’il était un domaine dans lequel Menotti
compensait largement son infériorité économique.
    Il appelait cela, en lui-même, le grand ravage conquérant.
    Il descendit de voiture.
    Il vit immédiatement que la volonté destructrice, sauvage, brouillonne de Menotti avait porté le coup de grâce
au vieux pied de glycine, gros comme un tronc, qui avait
pris racine quelque cinquante ans auparavant peut-être près
de la porte d’entrée.
    Quand Rudy était venu la première fois, d’abondantes
grappes de fleurs mauves parfumées pendaient au-dessus
de la porte, sous les fenêtres et les gouttières, suivant un fil
métallique que les anciens habitants de la maison avaient
fait courir sur la façade.
    Il s’était haussé pour humer les fleurs, ému, enchanté
partant de beauté et de senteur données pour rien, et il
avait ensuite félicité Menotti pour la luxuriance de sa glycine qui lui rappelait, oh oui, avait-il laissé échapper lui
qui ne parlait jamais de sa vie passée, les fleurs du frangipanier de Dara Salam.
    Il avait vu Menotti pincer les lèvres dans un mélange de
scepticisme et de vague contrariété, comme, s’était-il dit,
une mère aux tendresses inégalement réparties à laquelle on
fait compliment de celui de ses enfants qu’elle n’aime pas.
    D’un ton sec, condescendant, elle s’était plainte de la
corvée des feuilles à l’automne — tant de feuilles à ramasser, et de pétales desséchés.
    Elle avait montré à Rudy comment, sur le côté de la maison, elle avait déjà réglé son compte à un énorme bignonia
qui avait eu l’audace de faire grimper le fol entremêlement
de ses fleurs orangées sur le crépi gris.
    Les branches fines, les feuilles lustrées, les puissantes racines, les corolles mortes, tout cela gisait, prêt à
être brûlé, et Menotti l’avait désigné avec un fier mépris,
héroïne d’un combat qu’elle avait remporté haut la main.
    Accablé, Rudy avait poursuivi derrière elle le tour du
jardin.
    Ce n’étaient que lamentables vestiges d’une lutte
absurde et féroce autant que désordonnée.
    Les transports dévastateurs de Menotti, qui voulait nettoyer, faire propre, avoir du gazon, s’en étaient pris à la
haie de charmes, ratiboisée, au vieux noyer, coupé au pied,
aux nombreux rosiers, déterrés puis, Menotti s’étant ravisée, replantés ailleurs, et qui agonisaient.
    Et Menotti allait, satisfaite d’asseoir par la destruction
ses droits de propriétaire, comme si, avait songé Rudy en
lavoyant rouler ses larges hanches entre deux tas de buis
centenaires arrachés, rien ne démontrait mieux la légitimité de sa toute-puissance que l’anéantissement du travail
patient, des témoignages du goût simple, délicat, de tous
ceux, fantômes innombrables, qui l’avaient précédée dans
cette maison et qui avaient planté, semé, ordonné la végétation.
    Et voilà qu’il découvrait que Menotti avait coupé la glycine.
    Il n’en était pas surpris, il en était bouleversé.
    La petite maison se dressait, dépouillée, austère, tristement réduite à la médiocrité, que les feuilles avaient
cachée, de ses matériaux.
    De la plante somptueuse ne demeuraient que quelques
centimètres de pied à ras de terre.
    Rudy, à pas lents, s’approcha du portillon.
    Il regardait la façade nue, il éclata en sanglots.
    Menotti, qui avait ouvert sa porte au bruit de la voiture,
le trouva ainsi, immobile devant le portillon, les joues
trempées de larmes.
    Elle portait une tenue de sport violette.
    Elle avait les cheveux courts, gris, et des lunettes à
grosse monture de plastique noir qui lui donnaient un air
perpétuellement courroucé et sans lesquelles, ainsi que
Rudy l’avait déjà observé, son visage était celui d’une
femme perdue, désarmée.
    — Vous n’aviez pas le droit de faire ça ! cria-t-il.
    — De faire quoi ?
    Menotti semblait exaspérée.
    Alors il retrouva dans sa bouche ce goût de fer, ce vague
goût de sang qui lui remontait de la gorge quand il pensait
àMenotti et à ce qu’il aurait dû encore faire, malgré tout
ce qu’il avait déjà fait, et qu’il avait obscurément négligé
par lassitude, puis oublié.
    Il ne se ressouvenait maintenant que du manquement,
non de l’objet de ce manquement.
    — La glycine ! Elle n’était pas à vous !
    — Elle n’était pas à moi ? hurla Menotti.
    — Elle appartenait… à elle-même, à tout le monde…
    Sa voix

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