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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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fois — ne lui disait-elle pas, à sa manière, Tu n’as rien fait,
rien tenté pour moi, et à présent il est trop tard et je me
meurs, lentement décomposée dans mes parfums.
    Une vague de ressentiment le rembrunit.
    Pour le masquer, il baissa la tête, enfouit les mains dans
ses poches arrière.
    Del’une d’elles il tira alors une brochure de maman
qu’il tendit à Menotti d’un geste brusque.
    — Ils sont parmi nous, lut-elle à haute voix.
    Elle était perplexe.
    — Qui ça, ils ?
    — Oh, les anges, dit Rudy, feignant la désinvolture.
    Elle ricana, froissa la brochure sans l’ouvrir.
    Blessé pour maman et sentant du coup remonter sa
colère, il dévala les quelques marches du perron, courut
presque jusqu’à sa voiture.
    Il roulait lentement, sans but, songeant qu’il était bien
inutile qu’il remît seulement les pieds chez Manille à présent qu’il s’était grillé pour de bon.
    Un certain dépit lui rendait encore pénible l’idée de son
échec, car il eût aimé claquer la porte de chez Manille et
non se trouver chassé pour une grossière erreur de calcul
dans un chantier où il avait tant donné de lui-même, mais
au grand effroi que lui inspirait la vision de son avenir succédait, amortissant l’effroi, le sentiment que tout était ainsi
dans l’ordre des choses.
    Il ne devait pas croupir chez Manille.
    La tête lui tournait légèrement.
    Comment avait-il pu supporter quatre années de cette
vie-là ? Ce n’était, reconnaissait-il, qu’une question théorique, qu’un étonnement feint et de pure forme, et il savait
très bien en vérité comment l’on supportait de longues
années d’une vie mesquine.
    Ce qu’il ignorait, c’était plutôt comment il eût pu ne pas
supporter ces années à la fois cuisantes et piteuses — quel
homme eût-il été, fût-il devenu, que se serait-il passé s’il
n’avait pas enduré une telle médiocrité ?
    Aurait-ceété une bonne chose ou serait-il tombé plus
bas qu’aujourd’hui encore ?
    Et qu’aurait-il fait de lui ?
    Oh non, il n’était guère difficile de s’habituer à vivre
dans le dégoût de soi, dans l’amertume, la confusion.
    Même à l’état de fureur permanente, à peine contenue,
il s’était accoutumé, même à ses relations tendues et froides avec Fanta et l’enfant, il avait fini par s’accoutumer
tant bien que mal.
    Un vertige nouveau s’emparait de lui à l’idée qu’il allait
devoir considérer tout différemment sa vie avec les siens
et, bien qu’il aspirât depuis longtemps à retrouver l’amour
et la tendresse qu’ils avaient connus ensemble avant leur
départ pour la France, il s’inquiétait aussi, obscurément.
Fanta allait-elle le reconnaître tel qu’il était devenu,
n’était-elle pas maintenant trop fatiguée, trop défiante et
sceptique pour le rejoindre jusqu’au point où il pensait, lui,
être arrivé ?
    Tu viens trop tard et je me meurs.
    Où pouvait-elle bien être en ce moment précis ?
    Tout en désirant ardemment retrouver Fanta, voilà qu’il
redoutait de rentrer chez lui.
    Il porta la main à son front, sentit la fine blessure.
    Il n’était point besoin, Fanta, de m’envoyer cet affreux
oiseau justicier.
    Une voix croassait dans son esprit : Tu viens trop tard,
je me meurs, pieds tranchés, tombée au sol de ta maison
hostile, tu viens trop tard.
    Il avait faim maintenant et le café de Menotti lui avait
donné une terrible soif.
    Il roulait au pas, toutes vitres baissées, sur la petite
routesilencieuse, entre les haies de thuyas et les clôtures
blanches au-delà desquelles miroitait parfois l’eau bleutée
d’une piscine.
    Il avait laissé derrière lui le secteur de Menotti et, observant que le quartier dans lequel il arrivait était constitué
de maisons plus importantes encore, plus récemment et
luxueusement restaurées, il songea qu’il s’était de nouveau
menti à lui-même en affectant de rouler sans but précis, il
songea, mécontent, fâché contre Rudy Descas, qu’il aurait
dû s’avouer que l’intention de venir rôder autour de chez
Gauquelan, il l’avait eue dès que l’adresse du sculpteur
lui avait sauté aux yeux, dans le salon de Menotti, et que
sans doute même il l’avait eue longtemps auparavant déjà,
quand il avait lu que Gauquelan avait reçu de la ville près
de cent mille euros pour la statue du rond-point, celle dont
la figure ressemblait tant à celle de

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