Tsippora
a des chevaux. Il se tut.
Jethro patienta.
— Pour Pharaon ou pour faire la
guerre.
— Pharaon va à cheval ?
— Non, il va debout.
— Debout ?
— Dans un char attaché à quatre
chevaux. Les généraux et les grands guerriers qui l’accompagnent montent les
chevaux. Les autres vont à pied. Ils courent quand il le faut. Il y a les
bateaux, aussi. Sur le Grand Fleuve Itérou. Oui. Beaucoup de bateaux. Parfois,
aussi, des chevaux.
À chaque phrase, la voix de Moïse devenait
plus sourde, de moins en moins assurée de sa capacité à parvenir au bout de son
propos. Son accent obscurcissait le sens des mots, noyant sa confiance et le
poussant à en dire à la fois trop et pas assez.
Là-bas, dans la cour, les enfants et les
jeunes servantes contraignaient mal leurs moqueries et la sévérité de leur
jugement. La langue de ce côté de la mer Rouge, l’étranger la connaissait
encore moins bien que les brebis et les chameaux ! Il était, certes, d’une
nouveauté pleine de séduction, mais mieux valait qu’il demeure silencieux.
Jethro, lui, voulut ignorer ces carences.
La courtoisie l’exigeait, autant que sa gourmandise pour tout ce qui lui
permettait d’imaginer comment on vivait loin de son désert. Il ouvrit la bouche
pour poser de nouvelles questions. Un frottement de tissu lui fit lever la
tête. Tsippora s’agenouillait entre Moïse et lui.
D’autorité elle remplit leurs gobelets, qui
n’en avaient pas encore besoin. Tendant celui de Jethro, elle croisa son regard
avec tant de fermeté qu’il ne put douter de l’ordre muet qu’elle lui
adressait : « Cesse donc les questions. Tu vois qu’elles
l’embarrassent. Remercie-le, puisqu’il est venu pour ça ! »
Jethro n’eut pas le temps d’hésiter sur la
conduite à suivre. Orma bouscula Tsippora pour s’agenouiller à son tour devant
Moïse. Elle lui tendit un panier de gâteaux de miel et toutes les splendeurs de
sa personne.
Avec une humilité qu’on ne lui connaissait
pas, tous entendirent la plus belle des filles de Jethro annoncer combien elle
était heureuse de pouvoir offrir ces présents, presque rien en vérité, eu égard
à ce que Moïse avait fait pour elle et ses sœurs et aux fastes auxquels un
seigneur d’Égypte devait être habitué.
Jethro perçut tout à la fois la colère qui
crispait les poings de Tsippora et la gêne de Moïse. L’instant d’un éclair, il
entrevit la dispute honteuse qui allait éclater entre ses filles. Moïse,
cependant, de manière tout à fait inattendue, se leva. Il empoigna son bâton et
se dressa de toute sa hauteur. Un drôle de silence serpenta dans la cour. Orma
recula, une main levée devant son beau visage. Les femmes enlacèrent les épaules
des enfants.
Moïse s’inclina comme s’il allait prendre
congé. D’une voix cette fois bien nette il déclara :
— Tu te trompes, fille de Jethro. Tu
te trompes. Incrédule, Orma rit sottement.
— Ne ris pas ! Tu ne dois pas
dire ce que tu dis ! Il y avait dans la voix de Moïse comme un bruit de
galets qui s’entrechoquent. Orma jeta des regards effarés autour d’elle,
cherchant de l’aide. Tous n’avaient d’yeux que pour la bouche de Moïse, ne
voulant absolument rien perdre de ce qui allait en sortir.
— Je ne suis pas un seigneur d’Égypte,
fille de Jethro. Tu me crois d’Égypte et prince, répéta Moïse. Je ne le suis
pas.
Était-ce son accent ou était-il vraiment en
colère ? On ne le sut pas. Orma se mit debout, le rouge aux joues. La
bouche tremblante, elle recula d’un pas et se trouva sans le vouloir au côté de
Tsippora. Le regard doré de Moïse glissa sur elles deux aussi bien que sur
Jethro. Il se tourna pour faire face à ceux qui se tenaient dans la cour. Il
écarta un peu les bras. Sa voix n’était plus du tout menaçante.
— C’est la vérité. Je ne suis pas un
Égyptien d’Égypte. Je suis un Hébreu, fils d’esclave, d’Abraham et de Joseph.
Jethro était déjà levé. Les plis de sa
tunique s’agitèrent autour de son corps maigre, il attrapa Moïse par le coude,
lui saisit les mains pour le contraindre à se rasseoir.
— Oui, je le sais, je le sais !
Assieds-toi, je t’en prie, Moïse. Je le sais, Tsippora me l’a dit.
Orma leva un regard plein de stupeur vers
sa sœur, qui n’y prêta pas attention. Moïse et leur père retrouvaient place sur
les coussins. Jethro tapota le genou de Moïse avec une tendre familiarité.
— C’est une bonne
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