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Tsippora

Tsippora

Titel: Tsippora Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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c’était ainsi, avec leur
sang, leurs cris et leur mort, dans l’incessant claquement du fouet, que
s’élevaient les faramineuses constructions du dieu vivant, la Vie de la Vie,
cette puissance toujours ressuscitée qui régnait, là-bas, sur l’immense pays du
Grand Fleuve.
    — Là où travaille l’esclave, qui lève
les yeux pour protester est mort, disait Moïse. Sur un chantier, la mort d’un
Hébreu compte moins qu’une planche brisée.
    De l’aube à la nuit, les insultes, les
cris, les accidents et la permanente humiliation étaient la plus grasse
nourriture des esclaves. Par punition, on les épuisait dans la confection des
briques où les plus faibles pataugeaient dans la boue alourdie de paille
jusqu’à ne plus pouvoir soulever un pied.
    — Celui qui ne peut plus piétiner, on
le frappe. Il tombe dans la boue. Il s’étouffe. Alors le contremaître le frappe
encore parce qu’il ne piétine plus. Si ses compagnons veulent l’aider, eux
aussi sont frappés.
    Et chacun ici, dans la chaleur de Madiân,
entendait le claquement du fouet de Pharaon. Même les mouches, à ce qu’il
semblait, cessaient de bourdonner.
    — Celui qui ne peut plus tirer la
corde des traîneaux où l’on charrie les pierres, on le frappe, reprenait Moïse
d’une voix de plus en plus lourde. Celui qui a soif, celui qui se trompe, celui
qui veut panser sa plaie, tous ceux-là, on les frappe. Qu’ils soient vieux ou
jeunes, femmes ou hommes.
    Moïse par instants se taisait, les yeux
égarés sur les paniers de fruits devant lui. On respectait son silence, tentant
de voir ce qu’il voyait à l’intérieur de lui-même. Ces longues cordées d’hommes
attelées aux pierres, ces milliers de bras frappant la pierre, la taillant, la
polissant, la soulevant. Ces jours d’efforts sans fin pour extraire les roches
des falaises, les transporter d’un bout à l’autre d’un immense pays et enfin
les accumuler les unes sur les autres en des constructions vertigineuses.
    Puis Moïse secouait la tête et
murmurait :
    — Cela n’a pas toujours été ainsi.
Mais aujourd’hui, le fouet de Pharaon est plus gourmand de leur sang que les
moustiques.
    Il cherchait des regards, trouvait celui de
Jethro, celui de Tsippora. Sur son visage, on ne lisait pas de douleur, pas
vraiment de colère non plus. Bien plutôt de l’incompréhension.
    — J’ai été aux côtés d’un homme qui
éprouvait du plaisir dans la souffrance des esclaves et même de l’orgueil à
leur infliger le mal à coups redoublés. Il s’appelait Mem P’ta. Être dans son
parage était une insupportable souillure. Je vivais dans la honte. La honte de
ce qu’il faisait et celle de ne pas l’empêcher. Un matin, cela s’est fait sans
que je le décide vraiment. Mem P’ta s’est éloigné, seul, vers le fleuve. Je
l’ai suivi dans les joncs. J’ai attendu qu’il soit à son affaire. Ça n’a pas
été difficile. J’étais tellement soulagé à l’idée qu’il ne lèverait plus son fouet !
J’avais tellement le désir de le tuer ! Moïse eut un demi-sourire.
    — Ensuite, j’ai craint que l’on
découvre son corps trop vite si le fleuve l’emportait. Je l’ai tiré jusqu’à une
bande de sable pour l’enfouir. Je crois que c’est là qu’on m’a vu.
    À nouveau il se tut. Il n’était pas
difficile d’imaginer ce qu’il ne disait pas.
    Il fit rouler son bâton dans ses mains,
observa les visages autour de lui sans s’arrêter sur aucun. Curieusement, il
paraissait plus à l’aise et plus sûr de lui qu’un instant auparavant. Il haussa
les épaules avec une certaine légèreté.
    — J’ai tué l’Égyptien, c’était une
erreur. Cela n’a pas adouci la souffrance d’un seul Hébreu, a seulement accru
la colère de Pharaon contre ses esclaves. Frapper les architectes ou les
contremaîtres de Pharaon, c’est frapper Pharaon. Oser s’en prendre à Pharaon,
qui le pourrait ?
    Jethro ne sut si c’était là une vraie
question. Silencieux, il ne bougeait pas un cil. Le sourire las de Moïse
s’élargit, bien que son regard gardât tout son sérieux.
    — J’ai volé les vêtements, volé un
bateau qui m’a porté ici. Jusqu’à ce que tes filles me disent : « Tu
es sur la terre de Madiân et chez Jethro, le sage des rois de Madiân »,
j’ignorais où je me trouvais. Jethro hocha la tête.
    — Tu es sur la terre de Madiân, chez
Jethro. Rien dans ce que tu viens de conter ne me donne le désir de

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