Tsippora
crépuscule.
On aurait pu croire que la lassitude de
l’attente accablerait les filles de Jethro. Ce fut l’inverse qui advint. Comme
une maladie, l’impatience gagna toutes les femmes de la maisonnée. Les quelques
hommes, époux, frères et oncles qui n’étaient pas partis avec les troupeaux en
arrivèrent à se demander s’ils allaient jamais voir cet étranger qui occupait
tant les babillages des femmes.
Il n’y eut plus d’heures, plus de travaux,
dans la cour ou au-dehors, plus même de sieste sous les térébinthes ou les
tamaris, sans que, machinalement, les yeux se dirigent vers le chemin de
l’ouest. Ils n’y trouvaient rien d’autre que les bleus changeants du ciel, un
vol de coulis-coulis ou de cormorans ou, parfois, un âne échappé. Enfin cela
arriva.
Sans que quiconque l’ait vu venir dans le
brasier d’un après-midi, Moïse fut là, à la porte de la cour.
Il y eut un cri, de jeune fille ou
d’enfant. Il y eut le temps que chacun comprenne, écarquille les yeux et la
bouche avant de se jeter hors de l’ombre. Tous se précipitèrent à la porte et,
oui, il était là.
Personne n’osa dire un mot.
Il ne portait pas de tunique mais seulement
un pagne plissé, serré à la taille par cette ceinture au magnifique tissage que
les filles de Jethro avaient déjà admirée au puits d’Irmna. Une coiffe à
rayures pourpres lui recouvrait la tête. La peau glabre de son torse semblait
supporter le soleil sans difficulté. Sa barbe, désormais aussi fournie que
celle d’un Madianite, ne masquait pas la beauté de sa bouche. Ses yeux
possédaient une acuité qu’on ne savait qualifier, à la fois timide et
puissante.
Les femmes comprirent sur-le-champ pourquoi
Tsippora et Orma n’étaient plus les mêmes depuis leur rencontre avec cet étranger.
Les hommes, eux, furent un peu agacés par sa raideur.
Du haut de son chameau, avec un accent qui
conférait aux mots une sonorité nouvelle, il demanda s’il était bien chez
Jethro, le sage des rois de Madiân. Personne ne lui répondit car, parmi les
visages levés vers lui, il vit Tsippora et il lui sourit.
De son long bâton à pointe de bronze, il
frappa le cou du chameau. Avec le flegme d’une bête confiante dans celui
qu’elle porte, l’animal allongea le col et ploya les antérieurs. Quand Moïse
fut debout sur le sol, chacun prit conscience qu’il était plus grand que les
hommes de Madiân, bien que ses pieds soient nus. La voix d’Orma retentit :
— Moïse ! Moïse !
Le brouhaha de l’accueil commença.
*
* *
— Pardonne-moi, sage Jethro, si j’ai
mis du temps à venir te saluer. Ne me crois pas grossier. Jamais encore je
n’étais monté sur un chameau. J’ai dû apprendre avant de venir.
Les phrases étaient prononcées d’une
traite. On devinait qu’il les avait plusieurs fois répétées avant de les
livrer. La bouche de Jethro creusa une ombre dans sa barbe et resta en suspens
au-dessus de la figue qu’il allait croquer.
— Tu as dû… apprendre à monter un
chameau ? Moïse s’inclina avec le plus grand sérieux.
— Il fallait bien. Tu m’as donné une
bête pour venir. La bouche de Jethro se referma à l’instant où les rires
scintillaient autour d’eux.
Ils étaient sous le dais, dans le confort
de l’ombre et des coussins, les cruches de bière et les coupes de fruits à
portée de main. Debout derrière Jethro, Sefoba, Orma et Tsippora distrayaient
leur nervosité sur les anses des paniers remplis de galettes et de gâteaux.
Plus à l’écart, sous le pilon du soleil, les servantes et les enfants formaient
un grand cercle. Ils riaient à s’en mouiller les yeux, sans perdre une miette
de ce qui se racontait.
Jethro leva la main pour obtenir le
silence. Il menaça de renvoyer chacun à sa tâche si l’on ne montrait pas plus
de respect envers l’étranger.
Moïse apaisa la remontrance d’un sourire
modeste.
— Ils ont raison de rire. Ici, il est
stupide de ne pas savoir monter un chameau.
— À présent, tu sais. Et tu as vite
appris, répliqua Jethro avec une sincère admiration.
Moïse trempa les lèvres dans le gobelet de
bière, recevant le compliment avec autant d’humilité qu’il avait accepté les
rires. Si cela était possible, la curiosité de Jethro pour l’étranger s’en
accrut encore.
— Mais peut-être sais-tu monter à
cheval ? On dit qu’il y a beaucoup de chevaux en Égypte.
La question parut plonger Moïse dans
l’embarras.
— Il y
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