Tsippora
voulait, de toute la puissance de ses poumons, propulser sa prière
au-delà de la mer.
Elle songea : « Il parle la
langue d’Égypte ! Il prie les dieux d’Égypte ! »
Il n’avait pas encore perçu sa présence. Elle
eut honte d’être ainsi spectatrice. Mais elle était trop fascinée pour
s’éloigner. Fascinée par son visage, la clarté fraîche de ses traits. Jamais
encore elle n’avait vu le visage de Moïse ainsi : il s’était rasé !
Maladroitement, car de fines coupures lui rougissaient les joues et le menton.
Pour la première fois elle voyait le visage
nu d’un homme. Et celui de Moïse révélait une jeunesse, une fragilité
inattendues et attirantes. Et tellement impudique ! Elle baissa les
paupières, songeant avec un peu de confusion à la douceur qu’elle palperait du
bout des doigts si elle les posait sur ces joues glabres, ce menton et ce cou
dévoilés.
Moïse replia brusquement les bras sur sa
poitrine. Les bracelets s’entrechoquèrent dans un éclat d’or. Sa voix se fit plus
basse, presque inaudible. Il se tut.
Le silence, rythmé par le vent et le
ressac, les enveloppa.
Sans oser un nouveau coup d’œil, Tsippora
s’écarta de la roche. Évitant de faire rouler des pierres sous ses sandales,
elle commença à grimper le chemin. La voix de Moïse résonna derrière elle dans
le vent froid :
— Tsippora !
La voix qu’elle connaissait, celle qu’elle
avait toujours entendue quand il parlait la langue de Madiân.
— Reviens, ne pars pas !
Serrant son châle sur sa poitrine, elle se
retourna. De face, son visage nu était encore plus troublant. Son nez
paraissait plus fort et ses mâchoires plus larges, ses yeux plus sombres. Il
tendit vers elle un bras cerclé d’or. Le souvenir de l’homme de son rêve
l’assaillit, irisant le désir et la crainte jusqu’à la pointe de ses doigts.
— Je suis bien heureux de te voir, dit
Moïse avec plus de douceur en faisant un pas vers elle.
Elle peinait à soutenir son regard, elle se
sentait incapable du moindre mouvement.
— Ah, fit encore Moïse avec un petit
rire en se passant une main sur les joues, c’est mon visage qui te
surprend ! C’est la coutume d’Égypte, il faut s’adresser à Amon le visage
rasé.
Il rit plus franchement, ce qui donna à
Tsippora le courage de le regarder et de sourire à son tour. Elle bredouilla une
excuse pour l’avoir dérangé alors qu’il priait. D’un geste il signifia que cela
n’avait pas d’importance. Sans s’étonner il murmura :
— Ainsi, tu as su où me trouver.
Il en semblait heureux, ses yeux
brillaient.
— Nous avons craint que tu ne sois
reparti pour l’Égypte.
— Ton frère doit être fâché. J’ai
manqué de courtoisie envers lui.
— Non, non ! Il ne l’est pas,
s’entendit protester Tsippora d’une voix trop forte, trop aiguë. Ni lui, ni mon
père, ni moi…
Elle avait peur. Peur qu’il ne la trouve
pas assez belle, trop noire de peau. Peur de ce visage de Kouchite qu’elle
offrait à ce Moïse de nouveau étranger et inconnu, aux joues nues et aux
bracelets de prince. Sa gorge étouffa à demi les mots qu’elle mûrissait :
— Toute la maisonnée souhaitait ton
retour.
Sur l’horizon, entre le ciel et la mer, une
bande sans nuages rougissait à l’approche du crépuscule. Des reflets
palpitaient sur la mer telles des flaques de sang épais. Moïse dit :
— C’est vrai. J’ai voulu partir pour
l’Égypte. Sans savoir quelle route je devais emprunter. Le chameau que m’a
donné ton père a eu plus de cervelle que moi. Je l’ai conduit dans des sables
mous. Il a su en ressortir, mais ensuite il a refusé d’avancer vers le nord. Je
l’ai écouté, et nous sommes revenus ici. En vérité, je n’ai aucun désir d’aller
au pays du grand Maat ! Aucune envie !
Il eut un geste inattendu de violence, de
colère. Il se détourna pour regarder l’horizon rougi. Il secoua la tête et
répéta comme s’il se parlait à lui-même :
— Non ! Je n’ai rien à faire
là-bas.
— Pourquoi revenir dans cette grotte
plutôt qu’à la cour de mon père ? demanda Tsippora.
Il lui glissa un coup d’œil froid, mais ne
répondit pas tout de suite.
— Viens, ne reste pas sur le chemin.
J’ai de l’eau dans ma gourde si tu as soif.
L’or scintilla sur son bras tandis qu’il
désignait la grotte. Il parut seulement prendre conscience des bracelets qui
lui serraient encore les bras. Il les ôta en
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