Tsippora
grogné, mais ils
avaient ployé la nuque et plié le genou.
Les récoltes prospères qui s’ensuivirent lui
procurèrent la confiance et la reconnaissance du peuple. Les puissants, qui
détestaient qu’elle soit une femme, n’en furent que plus furieux. Dans l’espoir
d’apaiser leur courroux, elle prit pour époux un neveu de l’âge de Moïse,
promettant que, le temps venu, il deviendrait Thoutmès le Troisième. Mais ce
qui devait être un gage de paix fit fructifier la haine.
— Comment aurait-il pu en être
autrement ? Thoutmès est beau, fort, aimé des prêtres et redouté des
soldats. Nous avons le même âge et tout appris ensemble. Nous avons eu les
mêmes jeux et les mêmes maîtres.
Nous avons combattu ensemble et prié Amon
ensemble. Soudain, voilà que nous nous trouvions tous deux dans la chambre de
ma mère, moi son fils et lui son époux ! Et il était si flagrant que, de
nous deux, elle n’en aimait qu’un ! Les couloirs des palais ne furent plus
que rumeurs et suspicions ! On a fait croire à Thoutmès qu’il ne
deviendrait jamais le Fils-divin et Protecteur du Maat, que le vœu de ma mère
Hatchepsout était de manœuvrer pour qu’Amon me désigne. Bien sûr, il l’a cru.
Qui ne l’aurait cru ?
On s’était souvenu de la faiblesse de
Thoutmès le Second. On avait douté qu’il pût être le père de Moïse. On avait
enquêté, interrogé, sans doute frappé et torturé les servantes afin qu’elles se
souviennent des nuits d’Hatchepsout et dénoncent les hommes qui auraient pu
fréquenter sa couche. On ne lui avait pas découvert d’amant, mais un secret
bien plus lourd.
Un jour, Thoutmès avait fait venir Moïse
dans la grande salle de son palais. Ils y avaient souvent mangé ensemble en
admirant les danseuses et les maîtres de magie. Ce jour-là, la pièce aux hautes
colonnes ne contenait pas d’autre siège que celui de Thoutmès. Des gardes armés
se tenaient derrière chacune des portes. Le jeune époux d’Hatchepsout portait
sur le front l’insigne royal de Ka, le serpent d’or. Dans ses yeux dansait le
feu de la joie et du fiel.
Moïse s’était avancé, soutenant son regard.
De sa voix haut perchée, Thoutmès avait ordonné :
— N’avance plus, Moïse ! Je sais
qui tu es. Sincèrement étonné, Moïse avait questionné :
— Qui je suis ? Que veux-tu dire,
mon frère ?
— Je ne suis pas ton frère !
avait hurlé Thoutmès. Ne prononce plus jamais ce mot !
— Thoutmès, que signifie cette
colère ?
— Tais-toi et écoute. Les prêtres ont
consulté Hémet, Khnoum et Thot. Et ont questionné une servante de ta mère… Il
s’était interrompu avec un rire grinçant avant de cracher : Ta « mère
Hatchepsout », ma dévouée épouse, Fille-divine d’Amon, reine du Haut et du
Bas ! Leur conclusion la voilà : tu n’es rien, Moïse. »
Moïse avait compris en cet instant que ceux
qui complotaient contre Hatchepsout avaient enfin trouvé leur arme. Thoutmès
riait. Moïse attendit qu’il en finisse avec sa jubilation et déclara avec
calme :
— Je n’ai jamais prétendu être ce que
tu es, Thoutmès.
— Tais-toi, tais-toi ! N’ouvre
pas la bouche, fiente de boue !
Les joues de Thoutmès étaient écarlates,
ses phalanges blanchies tant il serrait les accoudoirs de son siège.
— Esclave ! Esclave, fils
d’esclave ! Hébreu, fils de la multitude, souillure de nos palais !
Voilà ce que tu es, Moïse. Hatchepsout ne t’a jamais enfanté. Tu es un
mensonge, tu es un premier-né d’Hébreux et tu ne devrais pas vivre !
Moïse, terrassé, avait voulu poser des
questions. Thoutmès avait hurlé de nouvelles insultes et finalement appelé les
gardes. Le même soir Moïse était jeté dans la fosse des captifs.
— On m’en a fait sortir après quelques
jours et conduit sur un chantier dans le sud du Grand Fleuve Itérou, dit Moïse
en retirant avec douceur le bois des mains de Tsippora pour le mettre lui-même
dans le feu. J’y ai travaillé parmi les esclaves de mon peuple dont je ne
comprenais pas même la langue ! C’est là que j’ai tué Mem P’ta,
l’architecte contremaître, et que j’ai dû m’enfuir sans revoir le visage de ma
mère Hatchepsout. Je n’ai rien su d’elle jusqu’à ce que le marchand d’Akkad
croise notre caravane et annonce : « Au pays du Fleuve Itérou,
Pharaon est redevenu homme ! Le nom de Thoutmès le Troisième est divin. Le
nom d’Hatchepsout est banni. On
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