Tsippora
expliquant :
— Il me fallait parler à Amon, le dieu
de Pharaon et de ma mère. Ici, c’était très bien. Chez ton père, cela aurait pu
offenser Jethro et l’autel d’Horeb où il fait ses offrandes.
Il gagna le fond de la terrasse. Son sac et
son bâton s’y trouvaient. Le coffre peint aussi, qu’il ouvrit pour y déposer
les bracelets d’or. Tsippora songea qu’il ne lui dissimulait plus rien. Cela
n’apaisait ni la peur ni le désir qui se disputaient le feu de son sang. La
lumière baissait vite. L’horizon s’embrasait tout comme les feux des forgerons.
Bientôt, la nuit serait là. Il était encore temps pour elle de s’en retourner.
Elle connaissait assez le chemin pour se diriger dans l’obscurité. Demeurer
ici, près de Moïse, elle en devinait le sens, et cela la faisait trembler. Mais
la pudeur et la honte la faisaient trembler encore davantage. Elle baissa les
yeux, retourna ses mains pour en examiner les paumes comme si elles contenaient
une réponse. Moïse devina ses pensées. Il fut tout près et dit :
— Il est tard pour rentrer chez ton
père, mais tu dois connaître le chemin, même la nuit. Je pourrais aussi
t’accompagner.
Elle releva les yeux. Ils se turent,
intimidés, conscients que chaque instant d’immobilité et de silence contenait
une promesse.
Le premier, Moïse murmura :
— Demeure avec moi. Je veux que tu
saches qui je suis vraiment.
— Pourquoi ?
Tsippora vit palpiter son sang sous la peau
nue de son cou. À cet instant, elle aurait pu trouver la force de se détourner,
de remonter le sentier jusqu’au haut de la falaise. Elle songea une dernière
fois à ses sœurs et à Jethro. Surtout à Jethro. Elle aurait aimé qu’il la voie
et l’encourage.
D’une voix semblable à celle qu’il avait
eue en priant le dieu de Pharaon, Moïse dit :
— Parce que tu es celle qui peut
comprendre. Son regard était difficile à soutenir. Tsippora baissa les
paupières. Elle brisa le sortilège et le trop dur silence en faisant un pas de
côté et en déclarant un peu sèchement :
— Il va faire froid. Il faut allumer
un feu et préparer du bois avant que la nuit ne vienne.
*
* *
— Le marchand d’Akkad que j’ai
rencontré avec ton frère Hobab m’a appris que ma mère était morte, commença
Moïse. Celle que j’ai toujours appelée « ma mère ». En vérité, elle
ne l’était pas. Je ne suis pas sorti de son ventre. Ma vraie mère, je n’ai
jamais vu son visage, je ne connais pas son nom.
Les flammes étaient hautes, malmenées par
le halètement brutal du vent qui battait la falaise. Hors de la nacelle de
lumières mouvantes que reflétaient les parois de la grotte, l’obscurité était
sans étoile ni repère. La nuit semblait vide de vie. On aurait pu croire qu’il
ne restait, d’entre tous les hommes et toutes les femmes venus au monde, qu’eux
deux, protégés autant que perdus dans le halo de lumière vacillante suspendue
entre terre et ciel. Le murmure du ressac se perdait sur la mer. Moïse parlait
avec calme, hésitant parfois, lorsqu’un mot lui manquait ou que l’émotion d’un
souvenir faisait vibrer sa gorge. Enroulée dans une couverture de gros tissage
imprégnée de l’odeur du sable et des chameaux, Tsippora écoutait. De temps à
autre, elle tisonnait les braises, ajoutait une branche morte à la danse des
flammes.
Des années plus tôt, le Pharaon qui régnait
sur le pays du Fleuve Itérou se nommait Thoutmès-Âakhéperkaré. On le
considérait comme l’un des plus sages et des plus puissants Fils-divins et
Protecteurs du Maat. Son alliance avec Amon, le premier des dieux, n’avait
jamais failli et l’abondance des crues du Fleuve Itérou jamais manqué. Grand
guerrier, il conquérait des terres au nord comme au sud, rentrant en possession
de la force et des richesses que la faiblesse de ses pères et ancêtres avait
perdues. Faisant abondamment usage des esclaves hébreux, il agrandissait les
villes et les temples, tirant des cités entières du sable et des montagnes.
Jusqu’au jour où il apparut que les
descendants d’Abraham et de Joseph devenaient de plus en plus nombreux,
multipliant leurs mains pour supporter la charge de plus en plus lourde qui les
accablait. Pharaon sans cesse était prié d’écouter les craintes de ses vizirs.
« Que se passera-t-il lorsque les Hébreux se trouveront en nombre égal au
peuple du Fleuve Itérou ? Que se passera-t-il s’ils se rendent compte de
leur
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