Tsippora
elle
s’engagea dans le chemin raviné par les pluies récentes. Aussitôt, le son grave
et lancinant d’une corne de bélier retentit, annonçant son approche. Elle
continua sa descente, repoussant son châle sur sa nuque pour bien laisser voir
son visage. Parvenue au bas de la pente, elle longea l’enclos des mules, des
bêtes à poils longs, puissantes et capables de transporter de lourds
chargements de bois ou de terre ferreuse de l’aube à la nuit.
La porte d’enceinte s’ouvrit. Deux hommes,
les poings serrés sur de longues lames de fer, apparurent avant que l’huis de
bois enduit de terre ne se referme derrière eux. Tsippora n’eut que quelques
pas à faire avant d’entendre crier son nom.
— Tsippora ! Fille de
Jethro ! s’exclamait le plus petit et le plus gras d’entre eux. Sois la
bienvenue chez les forgerons !
La bouche édentée d’Ewi-Tsour souriait en
grand, révélant une langue et des gencives roses.
— Salut à toi, Ewi-Tsour !
Qu’Horeb te garde ton sourire.
Les yeux d’Ewi-Tsour fixèrent sans retenue
la jarre de bière sur l’épaule de Tsippora.
— Tsippora ! C’est un grand
bonheur de recevoir ta visite. D’autant que tu sais toujours nous venir
gentiment accompagnée !
Il rit, frappant l’épaule de son compagnon.
— Soulage donc Tsippora de son
fardeau ! ordonna-t-il avant de se retourner et de crier : Oh !
Vous autres, ouvrez la porte. La fille du sage Jethro vient nous régaler de la
bière de son père.
Un instant plus tard, Tsippora traversait
la grande cour. Femmes et servantes apparurent sur le seuil des maisons. Des
enfants accoururent, la reconnaissant et l’appelant par son nom, se bousculant
pour lui prendre la main. Sous sa toge, dans un sac de toile, elle puisa des
galettes de miel. La distribution souleva des cris de joie. Ewi-Tsour secoua la
tête, faussement moqueur :
— Toi, au moins, tu sais te faire
aimer ! gronda-t-il avant de chasser les enfants.
— Mon père te fait savoir que nous
avons des jarres de miel pour vous.
— Ton père est sage et bon, approuva
Ewi-Tsour en plissant les paupières. Mais je suppose que tu n’es pas venue
jusqu’ici seulement pour nous offrir de la bière et du miel ?
En quelques mots Tsippora expliqua la
raison de sa visite. Ewi-Tsour hocha la tête et jeta un coup d’œil vers le nord
de la cour.
— Suis-moi, dit-il en désignant l’immense
cour.
Dans la courbe est se dressaient les
fourneaux, semblables à des silos dans lesquels on conservait d’ordinaire
grains et huiles. Mais, ici, l’épaisse couche de glaise rouge qui les
recouvrait s’achevait en un col de jarre. Des torsades de fumée brune s’en
échappaient, par instants remplacées par une explosion de flammes crépitantes,
si claires qu’elles en devenaient transparentes. Tout autour, des hommes
s’agitaient, enfonçant des joncs évidés dans les orifices qui parsemaient la
base des fours et dans lesquels ils soufflaient à pleins poumons. Devant un
orifice plus grand qui se terminait par un bec de poterie calciné, deux hommes
en tunique de cuir, maniant de longues tiges à bouts plats, guidaient le filet
rougeoyant du minerai de fer dans des pierres creusées.
À vingt pas de là, sous un vaste auvent,
d’autres forgerons, eux aussi vêtus de cuir, sauf leurs bras, nus, noirs,
luisants de sueur, frappaient à la masse des lingots difformes qu’ils
recuisaient sur des braises ardentes. Le bruit des masses était si violent que
Tsippora eut l’impression qu’il traversait sa poitrine. Elle fut tentée de se
boucher les oreilles, mais n’osa pas. L’odeur de terre brûlée empestait l’air
et le rendait à peine respirable. De temps à autre, des crachats d’étincelles
jaillissaient au-dessus des fours, papillons de feu que le vent dispersait en
arabesques menaçantes sur le gris du ciel. Ewi-Tsour vit la grimace de
Tsippora.
— Tu n’as pas de chance, cria-t-il
pour se faire entendre. Aujourd’hui, ça pue pour de bon ! Les garçons sont
en train de faire du charbon dans le puits.
Du doigt, il montra un petit groupe
d’adolescents qui s’affairait autour d’une margelle de brique où tournoyait une
fumée brune et opaque.
Dans un sourire, Ewi-Tsour découvrit ses
gencives roses et se dirigea droit vers une grande pièce à demi ouverte. Là,
assis sur le sol, des hommes polissaient des lames de fer avec du sable et des
bandes de peau de bœuf d’où pendaient encore des lambeaux de
Weitere Kostenlose Bücher