Tsippora
revanche, c’est lorsque le marchand d’Akkad
a expliqué que les gens d’Ouaset ne voyaient plus la vieille épouse de Pharaon,
qu’on l’avait enfermée dans un palais des morts sans lui donner la sépulture à
laquelle elle avait droit.
Moïse s’était alors dressé, le front pâle,
les yeux brillants, les poings serrés sur son bâton. Il avait demandé au
marchand s’il connaissait la langue égyptienne. L’autre assurant que oui, il
l’avait questionné dans cette langue. Il parlait plus vite et plus durement, la
voix brève et nette. Le marchand répondait, parfois longuement, avec le respect
que les hommes de commerce mettent dans leurs manières lorsqu’ils ont affaire à
des puissants.
Hobab et les siens, bien sûr, auraient pu
s’offusquer que l’on parle devant eux une langue qui leur interdisait de
comprendre. Mais c’était un nouveau Moïse qu’ils découvraient là, assuré et
autoritaire, grave, plein d’émotion aussi. Nul n’avait songé à protester.
— Quand ils se sont tus, conclut
Hobab, on aurait cru que Moïse venait d’avaler le poison d’une vipère aspic.
— Et tu ne sais pas ce que racontait
le marchand ? interrogea Orma, qui ne feignait plus l’indifférence.
— Je viens de te le dire, il parlait
la langue d’Égypte.
— Tu n’as pas demandé à Moïse ce qui
le peinait ainsi ? s’étonna Sefoba.
— Je n’en ai pas eu l’envie.
— Et le marchand, insista Orma, tu
pouvais questionner le marchand. Après…
— Hobab a bien fait, intervint Jethro.
C’eût été une curiosité bien déplacée.
— On ne pose pas de questions à Moïse,
renchérit Tsippora, le visage dur. Ce qu’il veut dire, il le dit. Il nous l’a
montré.
Hobab lui jeta un regard aigu. Il sourit,
approuva d’un hochement de tête.
— Tu as raison, ma sœur. D’ailleurs,
après être resté un moment à réfléchir, il s’est levé et s’est excusé d’avoir
parlé dans une langue que nous ne pouvions comprendre. Il a dit :
« Ma grossièreté est grande, mais ma connaissance de la langue de Madiân
est d’une médiocrité encore plus grande. Je voulais être certain de comprendre
ce que j’entendais. » Il nous a souhaité une bonne nuit et, le lendemain à
l’aube, il n’était plus parmi nous.
— Hmmm ! fit Jethro. Ce n’était
qu’un prétexte. Moïse connaît fort bien notre langue désormais.
— Alors ?
Hobab regarda Tsippora droit dans les
yeux :
— Alors, ce qu’il avait à entendre de
la bouche du marchand, il ne voulait pas que nous l’entendions.
Le fils de la Pharaon
Le sommet de la montagne d’Horeb avait
depuis longtemps disparu dans les nuages qui filaient vers le sud ainsi qu’une
cendre inépuisable. Par instants, Tsippora remontait son châle pour se protéger
le visage des rafales qui soulevaient le sable et la poussière du chemin.
Fermement, elle maintenait en équilibre une jarre de bière sur son épaule. Les
plis de sa toge qui claquaient autour de ses hanches et ses cuisses
l’obligeaient à s’incliner en avant pour mieux résister à la fureur du vent.
Franchissant une arête de rocher recouverte
de broussailles, elle se trouva à l’aplomb du village des forgerons.
Lovés au creux d’une longue faille qui
serpentait de falaise en falaise au pied de la montagne, les murs du village
traçaient comme un immense cercle étiré. Ses murs de briques crues et ses toits
de palmes recouverts de terre se confondaient avec les éboulements naturels et
les ravines qui l’entouraient. Mais la cour, cinq ou six fois plus grande que
celle de Jethro, fourmillait d’une activité bruyante, à demi voilée par les
fumées puantes des feux et des forges, qui déjà prenaient Tsippora à la gorge
et que le vent enroulait autour d’un doigt invisible avant de les disperser
dans le chaos des nuages.
Le mur d’enceinte, où s’adossait chacune
des maisons, n’était percé que d’une unique et lourde porte de bois. Ainsi, le
village apparaissait vraiment pour ce qu’il était : un fortin où seuls
pénétraient ceux que les forgerons voulaient bien accueillir. Il en allait
ainsi avec les hommes de la forge. Nul plus qu’eux n’était soucieux de
conserver les secrets du fer et de la fabrication des armes précieuses,
recherchées par les puissants, depuis l’Euphrate jusqu’à l’Itérou.
Entre les rafales couchant les buissons
d’épineux, Tsippora perçut les premiers coups de masse. D’un pas ferme,
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