Un bateau pour l'enfer
qu’une île des Caraïbes.
Près de cent ans plus tard, les anciens conquistadors feront du port de La Havane le centre de leurs activités commerciales, et les autochtones seront allègrement massacrés. En 1570, il ne reste plus que deux cent soixante-dix familles d’Indo-Cubains qui vivent dans une indigence absolue. Vers la fin du XVI e siècle, le manque de main-d’œuvre entraîne l’utilisation massive d’esclaves noirs africains qui vivront dans des conditions de misère indescriptibles. En 1620 débute l’exportation massive du sucre vers l’Espagne et le tabac devient aussi une production nationale.
Au fil du temps, le port attire les corsaires anglais, français et hollandais. Ces aventuriers organisent la contrebande de produits et permettent à une classe de grands propriétaires terriens créoles de vivre indépendamment du pouvoir colonial espagnol et notamment de la Compagnie royale de commerce de La Havane. Ces hommes forgeront l’identité culturelle moderne de Cuba et joueront un rôle décisif dans les luttes pour l’indépendance qui vont s’initier dès la seconde moitié du XIX e siècle.
Le XIX e siècle est le siècle du tabac. Les boîtes de cèdre décorées rendent les premières marques de cigares cubains célèbres dans le monde entier. Mais les barrières douanières américaines provoquent une grave crise de cette industrie naissante. Pendant cette même période, Cuba perd sa position de troisième producteur mondial de café à cause de ces mêmes barrières douanières : l’île devra procéder à l’arrachage de nombreuses plantations pour les remplacer par la canne à sucre. Cuba dépend désormais pour son développement des besoins et des décisions de son puissant voisin.
En 1858, le sénateur Stephen A. Douglas prononce un discours à La Nouvelle-Orléans qui fait suite à la proposition de l’« achat de Cuba » par les États-Unis à l’Espagne. Il affirme : « C’est notre destin de posséder Cuba et ce serait une folie même de débattre de cette question. Cuba appartient par nature au continent américain. »
En 1868, c’est le début de la première guerre d’indépendance du pays. Elle va durer dix ans. Antonio Maceo (haut gradé de l’armée de libération) et Maximo Gomez sont les deux chefs les plus prestigieux de l’insurrection qui voit s’affronter, d’un côté les latifundiaires créoles, et de l’autre, le pouvoir colonial. Le pacte de Zanjón (10 février 1878) met fin à dix ans de combats en échange, non pas de l’indépendance, mais de la « promesse de réformes démocratiques ».
À partir de 1895, les États-Unis investissent à Cuba environ cinquante millions de dollars via des compagnies comme la Sugar Trust pour le sucre, ou la Juragua Iron Co qui obtient l’exclusivité de l’exploitation du fer dans les mines de la province de Santiago. Le sucre cubain ne peut échapper à la mainmise de son voisin, qui rachète à bas prix les plantations ravagées par la guerre d’indépendance. Le règne absolu du dollar sur le sucre commence, et Cuba connaît alors de profondes mutations : l’île passe du capitalisme colonial au néocolonialisme financier.
Le 24 février de cette même année 1895, la lutte reprend contre l’Espagne, soutenue cette fois par les États-Unis. On s’en doute, ce n’est pas un sentiment altruiste qui inspire cette démarche, mais la volonté de faire main basse sur l’île. José Marti, le héros des luttes indépendantistes, trouve la mort à Dos Rios, le 19 mai. Il avait écrit : « Je risque tous les jours ma vie pour mon pays. L’indépendance de Cuba doit empêcher que les États-Unis s’étendent jusqu’aux Antilles ; telle est ma mission ; tout ce que j’ai fait et ferai va dans ce sens. »
En 1897, l’Espagne décide enfin d’accorder à l’île l’autonomie, mais les indépendantistes ne baissent pas les bras pour autant.
Le gouvernement des États-Unis, qui guettait depuis longtemps cette occasion, décide d’envoyer deux croiseurs de sa flotte en tant qu’« observateurs ». Le USS Maine explose dans le port de La Havane dans des circonstances jamais élucidées. Washington accuse directement l’Espagne et lui déclare la guerre au nom « de la liberté et de l’indépendance de Cuba » [33] .
Trois ans après la mort de Marti, le 10 décembre 1898, l’Espagne vaincue est contrainte de signer le traité de Paris.
La République de
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