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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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d’accorder asile aux passagers du Saint-Louis. »
    Un petit rire ironique secoua Benitez. Il effleura distraitement les extrémités de sa moustache.
    « Le décret n° 937… Mais ce n’est qu’un vulgaire morceau de papier qui n’a pas plus de valeur que l’accord signé à Munich entre le Führer et ce pauvre Chamberlain. »
    Clasing écarquilla les yeux.
    « Comment pouvez-vous accorder si peu de crédit à un décret présidentiel ? »
    Le colonel écarta les bras.
    « ¡Ésta es Cuba ! Nous sommes à Cuba, mon cher ! Vous devriez savoir que dans ce pays, les lois ne valent que pour ce qu’elles sont : de simples trompe-l’œil. Des artifices qui ont pour but d’endormir la foule. Faites-moi donc confiance, vos passagers débarqueront. »
    Il s’empressa de faire observer :
    « D’ailleurs, ne m’avez-vous pas dit que le Dr Remos [37] s’était proposé de plaider votre cause auprès du président ? Alors ! »
    Luis Clasing resta silencieux. Il était vrai que le secrétaire d’État lui avait promis son aide. Il en avait même été surpris, sachant à quel point Remos soutenait les idées de Brù. Pourtant, devant son étonnement, le secrétaire lui avait déclaré : « La conscience est parfois plus importante que tout. Vous devriez vous en souvenir. »
    « Cela étant, reprit le colonel Benitez, nous pourrions peut-être trouver une issue au cas où le président Laredo maintiendrait sa position.
    — C’est-à-dire ? »
    Un sourire énigmatique était apparu sur le visage buriné de l’homme.
    « Voyez-vous, mon cher Luis, j’ai beaucoup réfléchi à cette histoire de décret n° 937. Je suis certain qu’il n’a pas été inspiré au président dans l’unique but de freiner l’immigration. Non. Ce décret n’est ni plus ni moins qu’un acte de vengeance.
    — Un acte de vengeance, dites-vous ? Mais pourquoi ? Qui serait visé ?
    — Qui voulez-vous que ce soit, sinon ma personne ? répliqua Benitez comme s’il s’agissait d’une évidence. Ne vous êtes-vous jamais demandé si notre président n’aurait pas souhaité s’approprier une partie des sommes encaissées par le bureau d’immigration ?
    — Vous n’êtes pas sérieux !
    — Au contraire, jamais je n’ai été aussi sérieux. Il ne s’agit pas d’une supposition, mais d’une certitude. »
    Il ajouta en se parodiant :
    « Nous sommes à Cuba, mon cher ! »
    Un peu perdu, Clasing attendit la suite.
    « Aussi, reprit le colonel, je me demande s’il ne suffirait pas de combler cette… lacune pour que vos passagers débarquent librement. »
    L’agent de la Hapag croisa les bras.
    « Mais encore…
    — Parlons clairement : combien votre compagnie serait-elle disposée à verser pour obtenir l’abrogation du décret ?
    — Et si je vous retournais la question ? Quelle somme serait susceptible de faire fléchir le président Brù ? »
    Benitez fit mine de réfléchir, puis :
    « Quelque chose comme… deux cent cinquante mille dollars ? »
    Clasing faillit s’étouffer.
    « Deux cent cinquante mille dollars ? Jamais la Hapag n’acceptera de débourser un tel montant ! C’est absurde.
    — Dans ce cas…
    — Et pourquoi ne pas imaginer une autre solution, colonel ?
    — Je vous écoute.
    — Vos… caisses (il faillit dire « vos poches ») sont pleines. Il serait très facile pour vous de vous départir de la somme. Disons que ce serait un manque à gagner, c’est tout. »
    Ce fut au tour de Manuel Benitez de s’étrangler.
    « Moi ? dit-il en se frappant la poitrine. Vous croyez que cet argent est placé sur mon compte en banque personnel ? Vous m’insultez, monsieur Clasing ! Je ne peux pas l’accepter. »
    Il fit mine de se lever.
    « Attendez ! C’est trop facile ! Vous vous dérobez à vos responsabilités, vous ne pensez qu’à votre orgueil, tandis que moi j’ai le problème de neuf cent trente-sept passagers sur les bras. Vous devez m’aider ! Vous semblez oublier que c’est vous qui avez signé ces visas !
    — Très bien. Pour vous prouver ma bonne foi, je vais de ce pas téléphoner à la présidence. »
    Il se leva pour de bon et invita l’agent de la Hapag à le suivre.
    Un téléphone se trouvait sur un coin du bar. Le colonel composa le numéro du palais. Il sollicita du secrétaire un rendez-vous immédiat et urgent avec Laredo Brù. On le mit en attente. Au bout de quelques minutes, on lui fit savoir que le

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