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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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Cuba est formellement instituée le 20 mai 1902. Mais elle est immédiatement placée dans l’orbite des États-Unis, qui, grâce à l’amendement d’un sénateur américain du nom de Hitchcock Platt, imposent leur domination et placent les dirigeants politiques à leur service. Par ce texte, les États-Unis sont autorisés à utiliser la force armée ou la pression diplomatique dans les affaires intérieures de l’île pour « sauvegarder son indépendance et soutenir un gouvernement stable, capable de protéger les vies humaines, les propriétés et les libertés »… De surcroît, ils s’accordent le droit d’établir des bases militaires et navales [34] et celui de veto sur les traités ainsi que sur les engagements internationaux des futurs gouvernements cubains.
    Le Dr Alfredo Zayas, pion américain, est élu président en 1921. La corruption des sphères gouvernementales provoque l’émergence d’un mouvement de colère en latence parmi les étudiants, dirigé par Julio Antonio Mella [35] .
    En 1925, Mella réussit à soulever les ouvriers de la compagnie US United Fruit Co. Zayas, comprenant les dangers d’une « contamination » des esprits, entreprend une politique de réformes qui profite surtout aux investisseurs de Wall Street. Le général Machado, personnalité violente et inculte, prend alors la présidence. À peine au pouvoir, il proclame qu’« il ne tolérera pas une grève de plus de cinq minutes ». Il réforme la Constitution pour pouvoir prolonger sa présidence en l’autorisant à se présenter comme candidat unique. L’opposition crie son indignation. Il prend alors la décision de former une police politique chargée de liquider l’opposition. Julio Antonio Mella meurt assassiné par cette police en 1929 au Mexique. Sous la pression de la rue, Machado est contraint de démissionner. Il abandonne ses fonctions en même temps que le pays, le 12 août 1933. L’ambassadeur des États-Unis en poste, Sumner Welles, impose Carlos Manuel de Cespedes comme président provisoire, à la grande colère des étudiants, des révolutionnaires et des militaires.
    Il ne régnera que quelques jours. Vers la fin août, c’est au tour de Ramón Grau San Martin, personnalité libérale, de prendre la tête du gouvernement. Mais lui aussi sera très vite évincé. En janvier 1934, un coup d’État est organisé par des révolutionnaires de droite avec, à leur tête, toujours appuyé par les États-Unis, le chef de l’armée cubaine : Fulgencio Batista. Au bout de quelques mois, exit Grau San Martin. Il est remplacé par Carlos Mendiata. Quelques mesures sont adoptées, dont la peine de mort et l’interdiction de faire grève. Deux ans plus tard, Miguel Mariano Gómez est à son tour investi président. Il ne régnera pas plus de douze mois. Batista – âme damnée des Américains – le fait remplacer par le vice-président Federico Laredo Brù.
    C’est lui, Laredo Brù, qui va décider en ce mois de mai 1939 du destin des passagers du Saint-Louis. Né à Santa Clara, Brù a soixante-quatre ans, l’œil noir, un visage aux traits anguleux, et n’est pas dépourvu d’une certaine prestance. Entre 1895 et 1898, il est de tous les combats pendant la guerre d’indépendance. Son cursus le conduira, entre autres, à la fonction de président de la cour de Santa Clara. En 1933, il est nommé ministre de l’Intérieur. Il est l’un des fondateurs de l’Union nationaliste et de la Légion de fer, organisation supposée défendre les intérêts des nationalistes cubains. Mais en réalité, Federico Laredo Brù est bien fragile : le vrai roi derrière le trône n’est autre que le colonel Fulgencio Batista [36] .
     
    Cet après-midi-là, jeudi 18 mai, une chaleur éprouvante sévissait à Cuba. Assis à son bureau, Brù écarta d’un geste nerveux un invisible fil du revers de sa veste blanche, puis tendit la main vers une boîte en marqueterie, souleva le couvercle et choisit un Monte Cristo, sa marque de cigares préférée. Il palpa la gaine, la fit rouler lentement près de son oreille pour s’assurer de sa fraîcheur, sectionna ensuite le bout à l’aide d’un coupe-cigares en argent. Il prit une allumette, chauffa l’extrémité du cigare en prenant soin de ne pas l’enflammer. Chacun de ses gestes était parfaitement mesuré et reflétait en tout point la personnalité de l’homme.
    Ce n’est qu’après avoir aspiré deux ou trois bouffées qu’il posa

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