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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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la dépouille : aussi longtemps que le mort ne serait pas mis en terre, son âme ne connaîtrait pas le repos.
    Elle se redressa, tâtonna pour appuyer sur la sonnette au-dessus de la table de chevet.
    Quelques instants plus tard, un steward frappa à sa porte. Entre deux sanglots, elle lui demanda des bougies et le pria d’appeler le Dr Glaüner.
    Ensuite, elle revint auprès de son mari et déchira la collerette de sa robe. Des prières… Des prières. Elle les murmurait dans un état second tout en cherchant un linge, une serviette, quelque chose qui lui permît de recouvrir le grand miroir posé entre les deux lits. Finalement, elle jeta son dévolu sur une chemise de Meier et revint s’asseoir près du défunt. D’une voix cassée, elle commença de réciter des versets d’un tehilim, les premiers qui vinrent à sa mémoire, tirés du Psaume 104 : « Tu t’enveloppes de lumière comme d’un manteau, tu déploies les cieux comme une tente, tu bâtis sur les eaux tes chambres hautes ; faisant des nuées ton char, tu t’avances sur les ailes du vent… »
    Elle savait que son mari n’était pas mort de maladie. C’est le chagrin et la désespérance qui l’avaient tué. Il était mort de ne plus vouloir vivre.
    Ce fut l’arrivée du Dr Glaüner qui interrompit le recueillement de Recha. Il n’était pas seul ; le capitaine Schröder ainsi que le steward l’accompagnaient. Ce dernier s’empressa de confier à Recha les bougies qu’elle avait réclamées et se retira discrètement.
    Le médecin examina Meier. Il le fit pour la forme. Il lui avait suffi d’un regard pour savoir qu’il arrivait trop tard et que toute sa science serait désormais impuissante.
    « Toutes mes condoléances, madame », déclara-t-il en se relevant.
    Schröder lui fit écho avant de s’enquérir :
    « Souhaitez-vous rester seule ? »
    Elle éluda la question.
    « Je souhaite que vous appeliez le rabbin Weil. »
    Schröder fit signe à Glaüner d’y aller.
    Et il demanda :
    « Pouvons-nous vous aider de quelque autre manière ? »
    Elle hésita un bref instant.
    « Avez-vous du feu ? »
    Le capitaine lui tendit un briquet.
    Elle alluma l’une des bougies, la disposa sur la table de chevet et en plaça une autre sur une tablette de la cabine.
    Schröder ne pouvait comprendre le sens de cette démarche. Mais Recha, elle, savait. La flamme symbolisait l’âme immatérielle ; la cire était liée au corps.
    Un temps s’écoula. La femme n’arrivait pas à détacher ses yeux de cette forme sans vie qui représentait tout ce qu’elle avait de plus cher au monde.
    Assise par terre, Recha se mit à réciter Baroukh dayan ha-émet , « Béni soit le juge de vérité ». Une prière de bénédiction.
    Au bout d’un moment, Schröder se racla la gorge.
    « Madame Weiler, commença-t-il, un peu gauche. Quand souhaitez-vous que se déroulent les funérailles ? »
    La vieille dame eut un sursaut. Depuis qu’elle veillait son mari, elle s’était comme détachée du temps et de l’espace, jusqu’au point d’oublier qu’elle se trouvait à bord d’un navire, en pleine mer.
    « Les funérailles, répéta-t-elle les yeux dans le vague. Chez nous, la tradition exige que l’on n’attende pas plus de vingt-quatre heures. »
    Elle précisa sur le ton d’une leçon d’enfance :
    « Celui qui sans raison n’enterre pas le mort rapidement transgresse la Torah. »
    Schröder hocha la tête. Il ne comprenait pas les propos qu’on lui tenait. Il voulut répliquer, mais elle enchaînait :
    « Hélas, il faudra attendre notre arrivée à La Havane. »
    La réaction de Schröder fut immédiate.
    « C’est impossible, madame. Quatre jours nous séparent encore de notre destination et nous ne disposons d’aucun moyen à bord de conserver le corps.
    — Je vous en conjure, supplia Recha. Mon mari mérite une sépulture décente. Vous comprenez, n’est-ce pas ?
    — Pardonnez-moi. Mais ne venez-vous pas de préciser que dans votre religion, il n’est pas recommandé de tarder à enterrer un défunt ? Et… »
    Elle le coupa :
    « Bien sûr. Mais il est aussi autorisé d’attendre un peu dans des cas exceptionnels ; si l’attente est justifiée. Et nous sommes justement dans ce cas. »
    Comment faire, songea Schröder, comment convaincre cette malheureuse femme de l’impossibilité d’exaucer son vœu ?
    Il ne put que répéter :
    « Le corps. Nous n’avons aucun moyen de

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