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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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conserver le corps. D’autre part, même si nous décidions de transgresser les règles d’hygiène, nous nous retrouverions en conflit avec les autorités portuaires cubaines. Elles risquent fort de s’opposer à ce que nous débarquions la dépouille de M. Weiler. »
    Elle s’emmura dans son refus. Alors, en désespoir de cause, Schröder se rendit à la salle des radios et fit envoyer un télégramme au bureau de la Hapag à La Havane, demandant l’autorisation de porter à terre la dépouille du Pr Weiler. Quelques minutes plus tard il reçut la réponse qu’il avait appréhendée : « Permission refusée pour raison d’hygiène. »
    Il fallut l’intervention du rabbin, ramené par le commissaire de bord, pour que Recha entende enfin raison.
    « Souhaitez-vous des fleurs ? » s’enquit Müller.
    Ce fut le rabbin Gustav Weil qui répondit :
    « Pas chez nous. Ni fleurs ni musique. En revanche, il faudra trouver une toile qui servira de linceul. Nous le lesterons tel quel.
    — Sans cercueil ?
    — Il n’est pas indispensable. »
    Le commissaire secoua la tête.
    « Il ne serait pas bon que cela se passe ainsi. Songez aux passagers. La plupart d’entre eux ont côtoyé la mort ou ont perdu certains de leurs proches. La vision d’un corps jeté ainsi à la mer ne pourrait que raviver leurs souffrances. Croyez-moi, un cercueil serait préférable. Nous avons un menuisier à bord. »
    Cette fois, ce fut Recha qui intervint. Elle déclara fermement :
    « Mon mari sera inhumé selon la tradition. »
    À court d’arguments, Müller suggéra que la cérémonie funéraire se déroulât au moins le soir, une fois les enfants couchés. Ils approuvèrent.
    En se souvenant de ce tragique événement, Schröder écrira :
    « Alors que nous approchions de notre destination, un nuage noir jeta son ombre sur le bateau. Quatre jours avant notre arrivée à La Havane, le médecin du bord m’a emmené au chevet du vieux Pr Meier Weiler qui paraissait très souffrant et épuisé d’avoir quitté sa patrie. Pendant des années, il avait travaillé en paix et en harmonie avec ses collègues, voilà qu’on l’avait complètement abattu. Depuis son départ de l’Allemagne, il avait perdu l’envie de vivre. Son dernier souhait était de mourir en mer (sic). Il est décédé le jour même. Les passagers craignaient que la présence d’un cadavre à bord ajoute une nouvelle difficulté à celle du débarquement. Nous avons donc décidé le jour même d’organiser des funérailles en mer pour le vieux professeur. »
    Une fois que le commissaire se fut retiré, Recha, assistée par le rabbin, se livra à la tahara , la toilette du défunt. Ensuite, elle prit dans le placard un costume blanc et en revêtit la dépouille.
    À quoi pensait-elle ? Quelles étaient les images qui s’entremêlaient dans son esprit ? Tout ce bonheur vécu, ces heures d’insouciance, et l’amour, tellement d’amour… Toutes ces choses rayées d’un seul coup, pourquoi ? Pourquoi, Adonaï ?
    Un peu avant dix heures, on frappa à sa cabine. Recha prit le tallith de son mari, arracha les franges du tissu et le posa sur le corps.
    Le rabbin ouvrit alors la porte. Le commissaire Müller entra dans la cabine accompagné de deux matelots qui portaient un brancard et une toile. Les marins posèrent le brancard sur le lit, soulevèrent avec précaution le corps et le glissèrent dans la toile. L’un des matelots cousit le linceul que l’on enveloppa d’un grand drapeau aux insignes de la Hapag. C’est à ce moment que – suivant les instructions de Schröder – le ronronnement des machines se tut.
    Dans un silence pesant, le groupe longea le couloir jusqu’à l’ascenseur qui les emmena au pont A . Le capitaine les accueillit. À ses côtés se trouvaient Ostermeyer, son second, ainsi qu’une dizaine de passagers parmi lesquels Dan et Ruth Singer.
    Là-haut, dans le ciel, le scintillement des étoiles avait perdu tout éclat.
    Une porte avait été ouverte dans le bastingage et une planche y avait été placée en équilibre. On y engagea le cercueil, les marins se tenant de part et d’autre, les mains à plat sur le drapeau. Müller se posta près de la tête de Meier Weiler.
    Maintenant, le navire s’était immobilisé. Une brise tiède courait sur les vagues.
    Gustav Weil entama alors la récitation du kaddish , tandis que Ruth gardait le regard fixé sur ce corps invisible qui, dans quelques minutes,

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