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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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des funérailles de M. Weiler. Il s’est d’ailleurs précipité à l’eau à l’endroit même où la dépouille de M. Weiler a été immergée.
    — Un suicide ! Mais pourquoi ? Savez-vous quelque chose ? »
    Le marin haussa les épaules.
    « Pas grand-chose, si ce n’est qu’il semblait être quelqu’un d’assez dépressif. »
    Müller et Heinz Kritsch, le timonier, confirmèrent. Berg avait à peine trente ans. Ce n’était que son second voyage. Les deux hommes avaient eux aussi noté une certaine instabilité chez le personnage.
    Le capitaine ordonna que l’on allume les projecteurs, que l’on mette un canot à la mer et que le Saint-Louis navigue en cercle autour de l’endroit où Berg avait sauté. Mais, au fond de lui, il était convaincu que les recherches ne donneraient rien. Près d’un quart d’heure s’était écoulé depuis que le drame s’était produit. Selon toute probabilité, l’aide-cuisinier avait dû être aspiré dans les remous provoqués par l’hélice du navire.
    Deux morts… Funeste présage.
     
    Allongé dans sa cabine, l’ancien procureur Max Loewe ne dormait pas. Il avait perçu vers dix heures du soir que le Saint-Louis , après avoir ralenti sa course, s’était immobilisé en plein océan. Sa femme, Élise, avait le sommeil profond. Il avait fallu à Max toute l’énergie du monde pour ne pas la réveiller et lui faire partager le sentiment de terreur qui avait pris possession de lui, faisant trembler tout son être.
    Le navire ne s’était pas arrêté par hasard. Il ne s’agissait pas d’une panne. La Gestapo n’allait pas tarder à faire irruption. Ici. Dans sa cabine. On allait l’arrêter. On l’emmènerait, on le traînerait par les jambes. Un train. Un wagon scellé. On l’enfermerait comme un animal. Après, ce serait Dachau, ou un autre camp de la mort.
    Max s’était couché en fœtus sur sa couchette et il avait attendu…
    Ce fut seulement lorsque les machines se remirent en marche que les battements de son cœur s’apaisèrent.
    Ce n’était pas pour ce soir… Pas encore.

10
    Ce jeudi 25 mai, lorsque le jour se leva sur l’océan désert, c’était la fête de Shavouot [45] et la première réflexion qui vint à l’esprit de Dan Singer fut : « Finalement, à l’instar de notre destin, l’année juive n’est faite que d’une succession de deuils et de joies ; après le désespoir, l’espérance ; après l’exil, le retour. Et ainsi de suite, jusqu’à notre mort. »
    Il n’était pas loin de huit heures et la salle à manger était presque pleine. D’une table à l’autre, les conversations se ressemblaient. Si, quarante-huit heures après, la mort de Meier Weiler continuait d’être évoquée comme un bien triste événement, une fatalité, en revanche l’étrange suicide de ce marin au nom à consonance juive faisait toujours l’objet de mille et une hypothèses : était-ce vraiment un suicide ? Ne l’avait-on pas assassiné ? D’aucuns évoquaient même une liaison possible avec l’une des passagères ; liaison qui eût été vouée à l’échec. Le mystère resta intact et personne à bord ne fut en mesure d’expliquer son acte.
    Vers dix heures, le commissaire de bord invita les passagers à venir dans son bureau afin de retirer leurs permis de débarquement. En début d’après-midi, la distribution était terminée. Pour Dan Singer et les autres, cette démarche était la preuve palpable que le voyage touchait à sa fin ; à moins d’un naufrage, d’un cataclysme, plus rien désormais ne s’opposerait à leur arrivée à Cuba. Un bal masqué avait été prévu pour le soir même. Après l’office consacré à la célébration de Shavouot, au cours duquel, une fois encore, au grand dam d’Otto Schiendick on décrocha le portrait du Führer, les passagers occupèrent les heures suivantes à se fabriquer un déguisement et à ranger les vêtements dans les valises, pour ne conserver que l’essentiel. Seules deux personnes, Max Loewe et Aaron Pozner, demeuraient insensibles à cette fébrilité joyeuse. Tous deux pour la même raison : la crainte qu’un événement imprévu ne remette en question leur débarquement à Cuba. L’angoisse qui les avait habités depuis le premier jour restait ancrée en eux et rien, sinon le soulagement de poser le pied sur le quai de La Havane, n’aurait pu les en guérir.
    Étrangement, la crainte des deux hommes était partagée par Gustav Schröder.

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