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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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disparaîtrait à jamais dans la masse noire de l’Atlantique. Son attention se reporta ensuite sur Recha. Jamais, de toute son existence, elle n’avait observé si grande souffrance sur un visage. Elle se dit que le jour où la mort frapperait à la porte de leur couple, il faudrait que ce soit elle qui parte la première.
    Le rabbin s’était tu. Schröder fit signe aux marins de retirer le drapeau du linceul. Müller inclina la planche en direction des flots. Il y eut un imperceptible chuintement. Le corps de Meier Weiler glissa par-dessus bord.
    Pendant tout l’office, le capitaine, son second ainsi que le commissaire s’étaient tenus dans un garde-à-vous impeccable. Au moment où la dépouille heurta la mer, ils saluèrent. Tout était consommé.
    Schröder s’avança vers Recha Weiler et, dans un geste solennel, lui remit une carte sur laquelle était marqué à l’encre rouge l’emplacement où venait d’être immergé son mari.
    Tout le monde se dispersa. Tous, sauf Recha. L’œil rivé sur l’océan, elle resta là, un long moment, ses lèvres articulant des mots dont elle seule connaissait le secret.
    Des vibrations familières montèrent des entrailles du navire. Les machines s’étaient remises en marche. Le Saint-Louis repartait.
    Ce soir-là, Erich Dublon nota dans son journal :
    « Nous avions eu un jour de grand soleil. Mais le soleil fut soudainement voilé lorsque nous apprîmes que l’un des passagers qui avait été gravement malade était décédé. Ce fut un grand silence. L’orchestre cessa de jouer. À dix heures du soir, le navire ralentit sa course. Le cercueil (sic) porté par des marins fut jeté par-dessus bord. Une dizaine de passagers étaient présents qui récitèrent la prière des morts. Le cadavre aurait dû être enterré à Cuba, mais les autorités portuaires avaient refusé. »
    Et Philip Freund devait déclarer bien des années après :
    « J’étais debout près du bastingage et je regardais la scène. Le corps était glissé dans un sac recouvert du drapeau nazi (sic). Je me souviens très clairement de la façon dont ils l’ont laissé glisser pour ces funérailles en mer. Le drapeau nazi est resté sur la planche et le corps enveloppé dans son sac est tombé dans l’eau. Ils avaient dû le lester, car il a immédiatement coulé. »
    Tapi derrière une bouche d’aération, Otto Schiendick n’avait rien perdu de la cérémonie. Il nota dans un calepin que celle-ci ne s’était pas déroulée selon la tradition nazie.
    Une fois à Hambourg, il ne manquerait pas de rapporter cette infraction à ses supérieurs de l’Abwehr.
     
    Dan avait pris Ruth par la main et, sans dire un mot, ils remontaient lentement le pont A . C’est au moment où ils arrivaient près de la piscine qu’un cri déchira le silence, suivi aussitôt d’un bruit de course. Presque simultanément un autre cri retentit : « Un homme à la mer ! »
    Le couple se précipita vers l’endroit d’où semblait provenir la cavalcade. Parvenus à hauteur de la poupe, ils virent des matelots groupés près du bastingage. L’un d’entre eux venait de décrocher une bouée. Il la lança dans les flots.
    « C’est Berg ! s’écria quelqu’un. Il faut arrêter le navire. »
    Dan se pencha pour scruter les ténèbres. Il devina plus qu’il ne vit la tête d’un homme qui tanguait au-dessus de la surface de la mer. La bouée était bien loin du point de chute, mais l’homme aurait pu au moins tenter de nager vers elle. Dan constata qu’il n’en fit rien ; tel un pantin désarticulé, il se laissait dériver sans lutter.
    Un marin s’était rué vers la passerelle. Une fois dans la salle des commandes, il expliqua au timonier, un dénommé Heinz Kritsch, et à l’officier de quart ce qui venait de se passer. On prévint Schröder. Il arriva dans les minutes qui suivirent pour constater que l’opération de sauvetage avait déjà commencé. Le Saint-Louis avait ralenti sa course et amorcé un large virage à bâbord. Schröder voulut tout de suite savoir s’il s’agissait d’un membre de l’équipage ou d’un passager.
    « Il s’agit de Leonid Berg, répondit le marin qui avait donné l’alarme.
    — Berg ? L’aide-cuisinier ? Comment pareil accident a-t-il pu se produire ?
    — Je crains, capitaine, qu’il ne s’agisse pas d’un accident. Berg s’est jeté volontairement par-dessus bord. C’était comme si la folie s’était emparée de lui au moment

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