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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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venait de sonner dans le bureau de l’agent de la Hapag. C’était un appel du secrétariat du président Brù.
    Après les habituels échanges de courtoisie, la voix déclara :
    « Le président vous informe que votre navire, le Saint-Louis , n’est pas autorisé à accoster. Faites le nécessaire pour prévenir le capitaine. Dans le cas contraire, vous devrez vous attendre aux pires conséquences. »
    Clasing n’essaya même pas de protester. Le ton de la voix le lui interdisait.
    Sans perdre une seconde, il fit envoyer le télégramme suivant à Schröder :
    MOUILLAGE EN RADE – STOP – NE PAS RÉITERER NI TENTER D’APPROCHER PORT

Troisième partie

11
    Pour la première fois, Gustav Schröder se sentit profondément déstabilisé. La mise en garde sonnait comme un glas. Que faire ? Il était impensable de passer outre l’ordre donné par Clasing. La gorge serrée, il donna les instructions pour stopper la progression du navire et demanda que l’on jetât l’ancre au milieu de la rade.
    La manœuvre n’échappa à personne. Une heure s’écoula. Un siècle. Le Saint-Louis ne bougeait plus. Ce fut comme si le temps s’était lui aussi immobilisé. La stupeur apparut sur les visages, puis très vite l’inquiétude. Les questions fusèrent. Chacun essayait de trouver une explication. L’eau du port n’était peut-être pas assez profonde pour accueillir un bateau imposant ? On avait peut-être un problème de machines ? Une avarie ?
    Le Dr Spanier, fidèle à sa promesse d’aider au mieux le capitaine, laissa entendre qu’il avait vu hisser le pavillon jaune de la quarantaine. Sans doute leur faudrait-il rester au mouillage le temps que les autorités médicales inspectent le navire. Cet arrêt en pleine rade ne faisait que confirmer les craintes dont ils avaient débattu quarante-huit heures plus tôt.
    « Nous avions jeté l’ancre, dira Élise Loewe. Les gens avaient été mis en rang avec leurs bagages et leurs papiers et soudain tout s’est arrêté. »
    Sol Messinger précisera :
    « Les gens ont commencé à s’inquiéter. Ils se demandaient pourquoi nous ne pouvions pas descendre. Pourquoi nous devions rester à bord. Qu’est-ce qui n’allait pas ? Vous comprenez, après ce que mes parents avaient vécu et moi aussi, tout ce qui sortait de l’ordinaire, même légèrement, provoquait une angoisse. On avait tout de suite peur que quelque chose n’aille pas. »
    Mais très vite, les questionnements laissèrent la place à une autre angoissante rumeur : et si les visas n’étaient pas conformes ? Pourtant, à la vue de deux canots qui s’approchaient de la coque, la nervosité retomba quelque peu, et lorsque l’on apprit que l’un des canots transportait des douaniers et l’autre deux médecins, l’idée de la quarantaine lancée par le Dr Spanier fit son chemin. Après tout, n’y avait-il pas eu un décès à bord ? Et si les douaniers se manifestaient, n’était-ce pas pour accomplir les démarches habituelles qui précèdent tout débarquement ?
    « Très vite, les douaniers sont montés à bord, rapporte Erich Dublon. On nous a annoncé que le débarquement était reporté. Que nos documents n’étaient pas en règle. Le nom de Tiscornia a circulé. Renseignement pris, il s’agirait d’un camp spécialement conçu pour accueillir momentanément les réfugiés avant de les répartir [49] . J’ai pensé que c’était une procédure habituelle. Mais quel désagrément inattendu ! »
    Schröder accueillit les deux médecins cubains d’un air indifférent. Il ne comprenait rien à leur présence. Lorsqu’ils lui exprimèrent leur requête, il crut rêver.
    « Examiner un millier de passagers ? Vous n’êtes pas sérieux ? C’est une farce ! »
    Les médecins restèrent de marbre.
    « Es la régla, señor capitán.
    —  Le règlement ? Nous n’avons eu qu’un seul décès à bord, le Pr Meier Weiler. Et nous l’avons inhumé en mer. Le Dr Glaüner vous le confirmera : cette personne n’est pas morte d’une maladie contagieuse.
    — Ce décès à lui seul justifie notre démarche. »
    Les deux médecins reprirent en chœur comme une leçon apprise :
    « C’est le règlement… »
    Schröder eut un haussement d’épaules. Après tout, s’il n’y avait que cette ultime épreuve à subir pour que les passagers débarquent, autant céder.
    Il donna l’ordre à Ostermeyer et au Dr Glaüner de rassembler tout le monde dans le

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