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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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plus jamais remettre les pieds en Allemagne. »
    Le lendemain matin, 26 mai, alors que le soleil était à la verticale du navire, les contours des côtes de Floride surgirent à l’horizon. En début d’après-midi, le navire était aux portes de Miami. À la vue des immeubles qui se dressaient dans le lointain, la plupart des passagers se précipitèrent pour dépenser les derniers Reichsmarks qui leur restaient et pour expédier des télégrammes à leurs proches, à Cuba ou aux États-Unis. Les mêmes mots furent rédigés à répétition : « Bien arrivé. »
    Aaron Pozner eut l’impression d’un « sentiment d’anticipation, de libération des horreurs nazies. Les gens riaient et rendaient grâce à l’Éternel, l’équipage souriait, faisant mine de comprendre ».
     
    Le lendemain, dans les toutes premières lueurs de l’aube, apparut le spectacle tant espéré.
    LA HAVANE  ! LA HAVANE  !
    On criait, on hurlait son bonheur, en prononçant ces mots. On courait pour ameuter un ami ou un proche afin de partager avec lui la même vision.
    On eût dit que toute la jubilation du monde avait fait le voyage, qu’elle s’était donné le mot pour venir des quatre coins de l’univers se répandre ici, sur ce navire.
    Dan Singer attira sa femme contre lui. Malgré tous leurs efforts, ni elle ni lui ne parvenaient à maîtriser les larmes qui perlaient à leurs yeux.
    «  Sauvés , murmura-t-il, nous sommes sauvés … »
    À mesure que le soleil s’élevait, le relief de la capitale cubaine devenait plus net.
    LA HAVANE  ! La perle des Caraïbes, comme on la surnommait, rongée par le sel, secouée par les ouragans, ballottée par l’Histoire, se rapprochait à vue d’œil comme un défi lancé au malheur vécu par un millier d’innocents.
    Bientôt, les balises indiquant l’entrée du havre commencèrent à pointer au-dessus de la surface de la mer. Ici et là s’élançaient des files de cocotiers qui balançaient leur crête sous l’impulsion d’un vent chaud venu du détroit de Floride. On eût juré que dans son sillage, il transportait des effluves de rhum et de tabac. Ce vent soufflait, s’immisçait entre les remparts du Castillo del Moro, la vieille forteresse qui contrôlait l’entrée du port depuis quatre siècles, tandis qu’en arrière-plan la coupole en marbre blanc du Capitole faisait comme une grosse boule de neige.
    Sauvés ! Ils étaient sauvés…
    « C’était une très belle journée, expliquera Philip Freund. Il y avait un air de renouveau, puisque dorénavant nous savions que nous allions avoir la vie sauve et que peut-être nous irions ensuite aux États-Unis. Cette perspective était fascinante, tout particulièrement pour quelqu’un qui avait grandi dans le sud de l’Allemagne, dans un paysage montagneux et où il n’y a pas de mer. »
    Et Herbert Karliner d’ajouter :
    « J’étais sur le pont et je regardais La Havane. C’était un spectacle étonnant pour moi qui n’avais jamais vu de cocotiers. Je regardais ces bâtiments blancs qui étaient le symbole d’une nouvelle vie. C’était très exaltant. »
    Quant à Erich Dublon, il écrit dans son journal :
    « Nous nous étions réveillés dès l’aube, le cœur plein d’allégresse. Déjà, du hublot de ma cabine, je pouvais distinguer les lumières. La Havane et le port. La montée du soleil éclaira très vite le paysage et la ville s’offrit à nous dans toute sa beauté. Et les premiers palmiers nous saluèrent dans le vent du petit matin. J’ai même pu apercevoir un tramway et un bus. »
    Debout à l’une des fenêtres du palais présidentiel, le président Laredo Brù observait les cheminées peintes en rouge, noir et blanc du Saint-Louis . Il contempla un long moment le bâtiment d’un air pensif, puis retourna s’asseoir.
    Sur son bureau se dressait une pile de lettres et de télégrammes. Leur contenu se résumait en quelques mots, toujours les mêmes : «  ¡  Bastantes ! ¡ De mas refugiados ! » « Cela suffit ! Plus de réfugiés ! » Mais il y avait aussi une soixantaine de lettres qui imploraient sa mansuétude. L’une d’entre elles était même signée par l’archevêque de La Havane.
    Brù caressa la pile de la paume de sa main. Il n’avait rien à craindre. Toute la population était derrière lui. Il se demanda simplement si les ordres qu’il avait donnés avaient bien été respectés.
     
    Ils l’avaient été, en effet.
    Le téléphone

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