Un collier pour le diable
souper. Allez me chercher le concierge !
— Quel concierge ? Y a des mois que cette maison est vide.
— Mais vous ? Qui êtes-vous ?
— Moi ? Je suis la veuve Radinois. J’habite tout à côté dans la rue Saint-Anastase. Feu Gratien Radinois, mon défunt, était payé par Monsieur le comte Ossolinski pour venir ouvrir les fenêtres et faire un peu de ménage toutes les semaines et comme l’argent arrive toujours depuis sa mort, je continue à sa place. Mais, sur la croix de ma pauvre défunte mère, je jure que j’ai jamais entendu parler de votre comte… Machin, ni d’un concierge d’ailleurs !
— Essayez de vous souvenir ! un grand gaillard, un étranger. Il doit être polonais, j’imagine…
— Jamais vu, jamais entendu ! affirma péremptoire la veuve Radinois. Quand Monsieur le Comte vient à Paris, il amène tout son monde avec lui et ça lui est pas arrivé depuis une bonne pièce de cinq ans ! Notez que, s’y veut prêter sa maison à des amis, j’y vois rien contre. Probable qu’il a dû lui donner une clef à votre comte… Chose ! Il a pas pu passer à travers les murs. Seulement Monsieur le Comte y pourrait me le faire savoir. Ça serait honnête ! Et maintenant qu’est-ce qu’on fait, mon gentilhomme ?
— Rien du tout ! Ou plutôt si ! Faites votre ménage comme si de rien n’était. Moi, je m’en vais voir si je peux retrouver mon hôte d’hier soir. Mais auparavant…
Tout en parlant, il se dirigeait vers le fond de la bibliothèque, ouvrait la petite porte donnant sur le cabinet tendu de noir et reculait avec une exclamation de surprise : il n’y avait plus trace de tentures noires, de fauteuils de velours ni de table à objets d’argent. Ce qu’il découvrait c’était un réduit aux murs nus où il n’y avait rien qu’une pile de vieux livres posés à même le sol et une petite échelle de bibliothèque. Rien ne restait de l’inquiétant décor de la nuit précédente…
Il n’eut pas le temps de s’appesantir sur ce nouveau mystère. La voix de la veuve Radinois le rappelait :
— Dites voir, mon gentilhomme, ça serait pas des fois pour vous, ça ?
— Où avez-vous trouvé cela ? dit-il en prenant la lettre qu’elle lui tendait.
— Là, sur la cheminée. Y a quelque chose d’écrit, mais, pour rien vous cacher, j’ai jamais appris à lire ! Mon défunt lui savait. C’était un homme qu’avait de l’instruction. Le curé de l’église Saint-Louis-des-Jésuites y disait même que s’il avait voulu…
Mais Gilles ne s’intéressait pas aux dons intellectuels de feu Radinois. La lettre était bien pour lui comme l’indiquait son nom tracé en grandes lettres énergiques sur le pli et elle était aussi brève qu’inquiétante :
« Ne cherchez pas à retrouver Mademoiselle de Saint-Mélaine pour le moment. Ce serait mettre inutilement sa vie en danger… »
C’était à n’y rien comprendre ! Avec un geste de colère, il fourra la lettre dans sa poche, chercha son chapeau qu’il enfonça sur sa tête et se dirigea vers la porte.
— Dites voir, mon gentilhomme, fit la veuve qui, les poings sur ses hanches rebondies, observait chacun de ses mouvements avec son plus gracieux sourire. Des fois que ça vous chanterait de revenir coucher ici, dites-le-moi : je vous préparerai une chambre. Ça sera toujours mieux qu’un canapé et puis, les beaux militaires, moi, j’aime ça ! J’habite au 2, rue Saint-Anastase…
Mais Gilles n’avait aucune envie de revenir dans cette maison, du moins avec la bénédiction de la veuve Radinois. Il la remercia néanmoins, toucha son chapeau et sortit pour se mettre à la recherche de l’écurie en priant le Seigneur pour que son beau Merlin ne se soit pas évanoui en même temps que le médecin italien, le concierge polonais et les phantasmes de la petite pièce noire.
Crainte vaine ! L’irlandais était bien là, confortablement installé dans l’unique stalle propre et aménagée d’une vaste écurie, son harnachement accroché au mur. Il hennit de joie en apercevant son maître et tourna vers lui sa tête intelligente pour aller au-devant de la caresse qu’on ne lui ménagea pas.
— Tu as beau être un grand bonhomme de cheval, marmotta Gilles tout en commençant à le seller, ce n’est tout de même pas toi qui as fait ta litière, garni ta mangeoire et qui t’es à la fois étrillé et dessellé tout seul ! Comme je ne pense pas que ce soit ton ange
Weitere Kostenlose Bücher