Un collier pour le diable
existe réellement qu’une seule pour moi, une seule, la plus belle, la plus adorable, la seule qui ait le pouvoir de me faire souffrir et de me faire connaître l’enfer. Cette femme c’est vous, c’est toi… mon amour, mon terrible et merveilleux amour, mon aimée… Cesse de te défendre contre moi, contre nous ! N’avons-nous pas été assez malheureux ?
Peu à peu, ses bras s’étaient refermés sur elle, l’emprisonnèrent. Contre sa poitrine il sentait battre le cœur affolé de Judith qui s’abandonnait contre lui, amollie, comme vidée de toute son énergie. Il baissa la tête, s’empara de sa bouche avec passion et sentit que son visage était mouillé de larmes.
Longuement, il prolongea son baiser, envahi pour elle d’une immense tendresse, d’un besoin profond de la garder toujours ainsi, fragile et vulnérable, à l’abri de ses muscles solides et de son amour. Dans un instant, il allait l’enlever de terre, l’emporter loin de ce château désert, de ce refuge que l’inquiétant Cagliostro lui avait trouvé au fond de ce parc et où il la maintenait dans la crainte d’on ne savait quelle fumeuse menace, l’emmener jusqu’à sa petite maison de la rue de Noailles où Mlle Marjon saurait si bien prendre soin d’elle. Ensuite, ils partiraient tous deux, le plus loin possible, pour y fonder leur bonheur sur des bases solides, telles qu’il était impossible d’en creuser dans le sable d’une cour royale…
Repris par son vieux rêve d’une maison blanche dans une prairie de Virginie, il desserra un peu son étreinte pour soulever le corps léger de la jeune fille mais, d’une bourrade, elle le repoussa si violemment qu’il trébucha. La gifle qu’elle lui assena acheva de le déséquilibrer et il se retrouva assis dans l’herbe tandis que Judith reprenait sa course vers la petite construction dont une fenêtre éclairée brillait au fond d’un layon.
Avec un affreux juron, il se releva d’un bond, s’élança à sa poursuite mais elle courait avec la légèreté d’une biche poursuivie et il s’était tordu un pied en tombant. Quand il arriva devant la maison ce fut juste à temps pour se faire claquer la porte au nez.
Furieux, il allait se jeter sur cette porte de toute sa force pour tenter de l’enfoncer mais une voix de femme, douce et affectueuse, lui parvint :
— J’allais aller au-devant de vous, mon enfant. J’étais inquiète. Vous ne devriez pas vous attarder tellement dans le parc lorsque le château est vide. Mais, vous pleurez ?
— Ce n’est rien… je suis tombée et je me suis fait mal. Ne soyez pas en souci, bonne amie, je n’irai plus dans le parc… jamais. Je crois bien avoir aperçu un rôdeur. Vous devriez dire à Pierre de faire une ronde…
— C’est une bonne idée. J’y vais tout de suite…
Il eût été dangereux de rester plus longtemps. Non loin de la maisonnette, Gilles aperçut, sous la lumière de la lune, le mur du parc et s’élança vers lui sans demander son reste, se promettant bien de revenir dès le lendemain. Il y avait une bonne chance pour qu’un chemin longeât ce mur.
Quand il eut atteint le faîte, il vit que c’était une large route et que des lumières brillaient assez loin au bout de cette route : le village, sans doute. Sautant à terre, il allait marcher vers ces lumières mais le roulement d’une voiture qui se rapprochait rapidement l’incita à demeurer caché et il se tapit dans les herbes hautes du fossé.
Un instant plus tard, la voiture, une élégante berline, passait tout près de lui, se dirigeant au galop vers la grille du château dont il pouvait apercevoir les lanternes. C’était très certainement Mme de Balbi qui revenait comme elle l’avait promis et la pensée de sa déception, de sa colère peut-être quand elle s’apercevrait de sa fuite lui arracha un sourire. Mais c’était une raison de plus pour ne pas s’attarder…
En quelques minutes il eut atteint les lumières qu’il avait vues briller au loin. C’étaient celles d’un relais de poste, celui du village de Boissy-Saint-Léger, et il n’eut aucune peine à y trouver un cheval puis, renseigné par un postillon qui lui indiqua le chemin à suivre, il sauta en selle et s’élança, à bride abattue, sur la route de Versailles.
Quand il y arriva, le hâtif jour d’été commençait à poindre allumant l’or aux grilles et aux girouettes du palais. Le soleil n’allait pas tarder à bondir dans le ciel et
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