Un collier pour le diable
à déverser ses rayons sur les jardins endormis où les jardiniers étaient déjà à l’œuvre ratissant les allées et nettoyant les canalisations des jeux d’eaux.
Les rues étaient désertes, paisibles et Gilles se sentait étonnamment dispos malgré les émotions des dernières heures. La course dans le vent frais du petit matin lui avait fouetté le sang et atténué la déception causée par la gifle de Judith. À présent il pouvait en sourire car, à la réflexion, il en était venu à ne plus y voir qu’une défense ultime et désespérée, une réaction de jeune fille contre sa propre faiblesse. Elle s’était vengée sur lui de n’avoir pu s’empêcher de répondre – et avec quel abandon ! – au dernier baiser qu’il lui avait imposé. Et puis, la nuit prochaine, il retournerait à Grosbois avec Winkleried et leurs serviteurs. À eux quatre, ils sauraient bien enlever la rebelle et la ramener à Versailles.
« Dès demain, échafaudait le chevalier, je demanderai audience à la Reine afin qu’elle accorde à Judith sa protection et dans une semaine nous nous marions ! »
Ces agréables pensées l’accompagnèrent jusqu’au bout du voyage mais, quand il atteignit la rue de Noailles, ce fut pour constater que son arrivée déclenchait une manière de révolution en miniature. Mademoiselle Marjon, sa propriétaire, qui, enveloppée de coiffes imposantes, était tout juste en train de fermer sa porte pour se rendre à la première messe au moment où il sautait de cheval dans le jardin, lâcha tout à la fois ses clefs et son livre de messe en poussant un cri :
— Mon Dieu ! Le voilà !
Le cri fit apparaître Pongo qui dégringola de l’arbre où il était installé, une carabine à la main, et Niklaus, le valet de Winkleried, qui surgit d’un buisson de framboisiers armé d’une paire de pistolets. Presque simultanément l’une des fenêtres de la chambre de Gilles s’ouvrit pour laisser passer la tête hirsute d’Ulrich-August qui, lui, tenait son épée d’une main et un pistolet de l’autre.
— Eh bien ! cria-t-il, c’est pas malheureux ! Je commençais à croire que tu étais mort ! D’où viens-tu donc ?
— De l’enfer et du paradis en même temps ! Mais je te jure que c’est le paradis qui l’emportera !…
Un moment plus tard, tout le monde était réuni chez Gilles autour d’un grand pot de café odorant comme savait admirablement le préparer Niklaus et Mlle Marjon, oubliant pour la première fois de sa vie ses devoirs religieux et ses principes, mettait Gilles au courant de ce qui s’était passé l’avant-veille et qui tenait, à vrai dire, en peu de mots : à la nuit noire, des hommes masqués avaient envahi le jardin et l’avaient enfermée chez elle en la menaçant de brûler sa maison si elle bougeait seulement le petit doigt.
— Quelque chose a-t-il pu vous suggérer qui pouvaient être ces hommes ?
— Non. Je n’ai remarqué que les yeux noirs de leur chef qui étincelaient derrière les trous de son masque et son allure générale qui était celle d’un gentilhomme. Il était grand avec une voix assez métallique… ah !… et un léger accent qui pouvait venir du Midi. Mais je n’ai guère eu le temps d’en voir davantage.
— Vous avez dû avoir une peur horrible ! Je suis navré…
Mais elle se mit à rire tandis qu’un œil singulièrement batailleur brillait malignement sous ses coiffes de dentelle.
— Il ne faut pas ! Je n’ai pas eu peur un seul instant ! Voyez-vous, je ne déteste ni l’odeur de la poudre… ni celle du tabac si vous voulez tout savoir, fit-elle en tendant sa tasse à Niklaus pour qu’il la resservît ; je me suis laissé enfermer chez moi sans mot dire mais, par l’escalier intérieur, j’ai été prévenir Monsieur Pongo. Je dois dire qu’il a eu une réaction intéressante.
— Laquelle, mon Dieu ?
— Il s’est déshabillé ! En un rien de temps j’ai eu sous les yeux un véritable chef indien… moins les plumes bien entendu !
— Vêtements pas commodes pour glisser dans feuillage sans faire bruit, coupa l’incriminé. Pongo sortir facilement par fenêtre cuisine, descendre dans buisson et réussir à quitter jardin sans que personne voir ou entendre.
— Il ne devrait jamais s’habiller comme tout le monde ! remarqua Ulrich-August en riant. Le costume d’Adam lui va beaucoup mieux ! Quand je l’ai vu arriver ainsi, j’ai seulement regretté la peinture
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