Un collier pour le diable
des comptes à me rendre !
Pendant ce temps Winkleried était allé tranquillement ramasser la boule de papier, l’avait défroissée sur un coin de table et en avait tranquillement pris connaissance.
— J’aimerais bien rencontrer ce Cagliostro, soupira-t-il. Rien que pour voir si un sorcier est à l’épreuve des balles et d’une bonne épée.
— Tes balles te reviendraient, ton épée se briserait. C’est le Diable que cet homme-là ! Mais Diable ou pas, il faudra bien qu’un jour je le tue ! lança Gilles avec rage.
1 . Cet hôtel, le meilleur de Versailles, portait ce nom grâce à son enseigne représentant le roi Louis XIII.
CHAPITRE XI
JEUX DE REINE…
Le mercredi 11 août, le Roi avait ordonné son jeu pour le soir.
Dès sept heures, les six salons en enfilade qui constituaient les Grands Appartements illuminaient, bien qu’il ne fît pas encore nuit, leurs marbres polychromes, leurs bronzes dorés, leurs porphyres, leurs brocarts d’or et leurs tapisseries chatoyantes au feu de centaines de bougies parfumées brûlant dans les grands lustres d’argent massif et les girandoles de cristal de roche. Cette grande illumination aggravait la chaleur et les fenêtres étaient largement ouvertes sur les allées rectilignes et les tapis de gazon du Parterre du Nord. La Cour emplissait lentement le fabuleux décor planté pour elle deux siècles plus tôt et empourpré par la gloire d’un soleil couchant…
Toute la Cour, d’ailleurs, ce qui était rare, y compris la Reine et sa coterie privilégiée de Trianon qui se fussent bien gardées d’être absentes car le jeu de ce soir constituait une manifestation de mauvaise humeur royale fort peu habituelle chez le bon Louis XVI. Mais le Roi avait été victime, dans l’après-midi, d’une plaisanterie de mauvais goût comme avaient un peu trop tendance à en inventer les joyeux amis de sa femme : s’étant laissé aller, après son repas, à une petite sieste sur un banc de Trianon, le Roi avait retrouvé, à son réveil, le livre de chasse qu’il lisait remplacé par un volume des œuvres de l’Arétin orné de gravures tellement obscènes qu’elles avaient, en touchant son horreur du libertinage, déchaîné sa colère. On l’avait entendu déclarer, fort vertement, à la Reine :
— Puisque, chez vous, l’on est incapable de respecter le Roi, vous me permettrez de rentrer chez moi, Madame ! Votre frère l’empereur Joseph a bien raison de dire que vous ne savez vous entourer que de catins et de croquants et je ne connais guère, ici, que votre fermier Valy qui soit respectable et de commerce agréable ! Vous verrez à me faire rendre mon livre. Il est propre et j’y tiens !
Et, jetant loin de lui l’indécent bouquin, Louis XVI était parti à grandes enjambées pour Versailles sans rien vouloir entendre de plus.
L’atmosphère de la soirée menaçait de s’en ressentir. Autour des tables disposées dans l’admirable salon de Mercure, malheureusement veuf du fabuleux mobilier d’argent massif jadis commandé par Louis XIV, la famille royale et les Grands Emplois vinrent prendre place dans un murmure atténué de sanctuaire pour s’y livrer aux joies sages du loto.
C’était le seul jeu que le Roi aimât et il y prenait en général grand plaisir alors qu’il détestait le pharaon, si cher à la Reine qu’elle y passait des nuits blanches et y grevait si dangereusement ses finances que Louis XVI avait interdit ce jeu et ses relents de tripot. Aussi Marie-Antoinette, que le loto en revanche ennuyait prodigieusement, faisait-elle contre mauvaise fortune bon visage. Elle n’y avait d’ailleurs pas beaucoup de peine car, excellente maîtresse de maison, elle savait, naturellement, faire rayonner sur tous sa grâce et son sourire. Ce qui ne l’empêchait pas de jeter de temps à autre un coup d’œil un peu inquiet au visage nuageux de son époux.
— Le torchon brûle, chuchota Winkleried qui était de service aux portes des Grands Appartements quand Gilles passa près de lui.
Mais le chevalier, debout derrière le fauteuil du Roi qui en avait exprimé le désir, n’y prêtait guère attention, se contentant de savourer la joie d’une faveur royale aussi inattendue et aussi manifestement exprimée en face de toute la Cour.
À ce poste de choix, il vit arriver, pour la première fois réuni à ses yeux, l’inquiétant ménage à trois qui avait entrepris de jouer un rôle dans sa vie : Monsieur, plus
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