Un collier pour le diable
approbateur. Gilles éclata de rire.
— J’imagine que vous êtes le sieur Beausire ? Eh bien, mon garçon, je ne vous fais pas mon compliment : vous êtes un piètre comédien. Quant à cette femme que je ne connais pas, j’admets volontiers qu’elle est bien faite mais qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ?
— Vous l’entendez, hurla l’autre. Vous l’entendez ? Non seulement je le surprends avec ma femme dans les bras…
Il sauta en arrière avec un cri de douleur. D’une brusque détente de son bras armé, Gilles avait tranché l’un des cordons de son masque qui tomba, découvrant un visage qui eût été beau s’il n’avait été si vulgaire et sans les traces visibles d’une ivrognerie habituelle. Une coupure saignante en marquait à présent la joue.
— Puisque je suis censé te faire cocu, mon garçon, autant savoir au moins à quoi tu ressembles ! Et puis tu cries vraiment trop fort ! Alors ? ajouta-t-il en faisant du regard le tour des hommes encore masqués qui se tenaient devant lui. On s’en tient à cette version grotesque ? Vous êtes là pour venger l’honneur d’un croquant, mes bons amis ?… Personnellement je n’en crois rien : un peu de courage, que diable ! Vous êtes cinq contre un seul… vous pouvez au moins vous offrir le luxe de la vérité.
— Regardez mieux ! fit l’homme qui était entré avec Beausire. Nous sommes huit… et il y en a encore dans le couloir !
D’autres hommes en effet sortaient de la cuisine et Gilles comprit qu’il avait peu de chances, cette fois, de sortir vivant de cette maison, d’autant moins qu’il venait d’identifier celui qui avait parlé.
— Ah, c’est donc vous, Monsieur d’Antraigues ? Votre masque est bien inutile car je vous ai reconnu… Ainsi, le crime de lèse-majesté ne vous suffit pas ? Vous êtes aussi assassin à vos heures ? En tout cas vous auriez pu trouver un prétexte moins misérable qu’une prétendue aventure avec une fille de bas étage mariée à un maraud !
— Je n’aime pas laisser mes dettes impayées… et puis personne ne vous assassine : vous avez une épée, défendez-vous !
— C’est bien ce que j’ai l’intention de faire. Mais puis-je savoir qui m’en veut assez pour avoir monté cette vaste opération ? Vous ne travaillez tout de même pas pour cette chère comtesse Jeanne ? Pas vous… pas un d’Antraigues tout de même !
— Et pourquoi donc pas ? fit une autre voix qu’il n’eut aucune peine à reconnaître. Est-ce qu’un d’Antraigues ne peut servir une Valois ?
— Tiens, vous êtes là vous aussi, monsieur le secrétaire à tout faire ? Décidément, le piège a été bien monté et vous ferez mon compliment à votre maîtresse. Dire que j’ai cru un instant qu’elle me ferait abattre chez elle ! Quel idiot j’ai été mais il faut avouer qu’elle est une miraculeuse comédienne !… Eh bien, braves gens, que faisons-nous ? Oserais-je vous prier de me livrer passage ?…
Son persiflage déchaîna la brusque fureur d’Antraigues.
— Allons, vous autres, sus à cet homme ! Sus pour l’honneur de Monseigneur le duc de Chartres ! Arrangez-vous pour gagner ses écus !
— Le duc de Chartres ? Qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans ? s’écria Gilles sincèrement surpris. Eh bien, puisqu’il paraît que nous sommes chez les fous, traitons-les comme tels : gare à vous, messieurs !
Sa lame décrivit un moulinet fulgurant qui fit reculer les premiers assaillants. De sa main libre, il saisit une chaise, la lança sur l’un d’eux qui s’écroula frappé à la tête. Puis, reculant jusqu’au mur contigu à la porte d’entrée, il empoigna l’une des sculptures du buffet que, d’une traction terrible, il jeta à terre où il rebondit avec un bruit de vaisselle brisée avant de lui assurer une protection efficace sur la droite.
— Mon buffet ! Ma vaisselle ! glapit Beausire avec un gémissement si grotesque que Gilles éclata de rire.
— Tu n’auras qu’à envoyer la note au duc de Chartres, puisque apparemment c’est lui qui donne le bal !
Puis, oubliant l’exempt, il entreprit de se frayer un passage vers la porte jusqu’à laquelle le buffet lui assurait une protection suffisante. Mais un barrage de trois hommes se dressait devant lui, cherchant à l’embrocher comme un sanglier dans sa bauge. D’une brusque fente en avant, il toucha l’un à la gorge, se replia, se détendit de
Weitere Kostenlose Bücher