Un collier pour le diable
pourquoi ne me rejoindrais-tu pas ? Je sais, tu as des terres, un château, une fiancée mais, crois-moi, l’Amérique est un pays qui te conviendrait. Il est à tes dimensions et tu pourrais t’y tailler un domaine grand comme la Suisse… ou presque ! Épouse Ursula et venez !
— Ce serait peut-être, au contraire, une excellente occasion de ne pas épouser Ursula… À bien réfléchir, elle n’est pas tellement éblouissante, bougonna Ulrich-August à qui le charme et la beauté de Judith avaient visiblement ouvert de nouveaux horizons.
Grâce au chapelain du palais et à l’évêque de Versailles, le fiancé pressé avait obtenu une dispense pour se marier immédiatement et, à présent que la chose était faite, il n’y avait plus qu’à réaliser le plan si droit, si simple, que lui et Judith avaient tracé pour leur avenir : dans deux jours, ils partiraient pour la Bretagne. Gilles voulait revoir encore une fois La Hunaudaye et le vieux Gauthier. Il voulait revoir aussi les lieux de son enfance et les rives de ce Blavet qui lui avait un soir apporté Judith. Il voulait la présenter à son parrain, l’abbé de Talhouët, qu’il souhaitait embrasser une dernière fois ainsi que sa vieille Rozenn et, peut-être, avant de quitter la France pour bien longtemps, tenter de faire, une bonne fois, sa paix avec sa mère, la Bénédictine de Locmaria. En le retrouvant marié, prêt à fonder une famille honorable, peut-être que la dure Marie-Jeanne céderait enfin et consentirait à éprouver, pour une fois, des sentiments de mère.
Ensuite, ils gagneraient Brest où, avec Pongo et Merlin, ils chercheraient le navire capable de les porter tous quatre de l’autre côté de l’eau. Judith, pour sa part, n’avait envie de revoir personne si ce n’est, au cimetière d’Hennebont, la tombe où reposait son père et le couvent qui avait abrité son adolescence menacée.
Ce n’était pas sans mal qu’elle avait obtenu de Gilles qu’il abandonnât Morvan à son sort. Non par un reste de convenances familiales : depuis l’atroce épreuve qu’il lui avait imposée, Morvan avait cessé d’être son frère mais parce qu’elle craignait qu’en fouillant le monde louche de la basse police, Gilles ne risquât sa vie plus sûrement que sur le plus sanglant des champs de bataille.
— Et puis, le rechercher prendrait du temps, lui avait-elle dit à l’un de ces moments où aucun homme amoureux ne peut refuser quelque chose à la femme aimée. Il faudrait rester, attendre… Puisque, aussi bien, j’ai survécu, laissons-le vivre de la vie misérable qu’il s’est choisie et partons ! Nous serons tellement mieux vengés…
L’argument était bon. Il avait prévalu. D’ailleurs, le cœur du chevalier était tellement plein d’amour qu’il n’y restait plus pour la haine la moindre place.
Lorsque l’on arriva au pavillon Marjon, fleuri jusqu’au plafond et illuminé par les soins de sa vieille amie, Gilles, qui d’accord avec sa femme avait une requête à présenter, commença par lui demander la permission de l’embrasser. Ce à quoi elle consentit bien volontiers mais en rougissant comme une jeune fille.
— Ceci est d’abord un merci, un grand merci plein d’affection, chère Mademoiselle Marguerite ! Mais c’est aussi une prière.
— Une prière ? Mon Dieu… vous savez bien que je souhaite avant tout vous faire plaisir. Je vous dois tant ! J’étais seule… grâce à vous j’ai retrouvé une famille… Mon seul regret est de la reperdre si vite !…
— Justement ! C’est de cela que nous souhaitons vous parler, Judith et moi, dit-il en attirant à lui sa jeune femme. Vous nous connaissez depuis bien peu de temps, pourtant vous nous avez traités comme si nous étions vos enfants. Eh bien vos enfants veulent vous garder : venez avec nous !
— Oui, appuya la jeune femme, accompagnez-nous.
— Vous accompagner ? Où cela, mon Dieu ? En Bretagne ?
— Non. En Amérique ! C’est un pays magnifique et étonnant. Je suis certain que vous vous y plairez ! Vous y trouverez des dames qui vous conviendront, une société que vous ne soupçonnez pas… et puis nous ! Notre maison sera la vôtre.
— Moi ? en Amérique ? Mon pauvre enfant ! Mais je ne sais pas l’anglais…
— Judith non plus. Vous apprendrez toutes deux.
Elle éclata de rire mais il vit bien qu’elle était tentée.
— Quelle folie ! Vous voulez emmener une vieille fille
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