Un collier pour le diable
et il entreprit sans plus tarder de restaurer ses forces défaillantes, écartelant le poulet à deux mains pour en avoir raison plus vite. Après quoi il se mit enfin debout, éprouva l’élasticité de ses bras et de ses jambes et se dirigea vers la porte pour voir les possibilités d’évasion qu’elle lui offrait. Mais, à sa grande surprise, il constata qu’elle était ouverte…
Sans perdre une seconde de plus, il s’élança dans une sorte de boyau qui menait à un escalier aux marches branlantes et rendues glissantes par l’humidité, l’escalada et déboucha dans le couloir dallé dont il avait gardé le souvenir. Au bout de ce couloir, il y avait une porte, ouverte elle aussi sur une prairie inondée de soleil. De frêles branches de vigne vierge bougeaient doucement dans l’encadrement de cette porte. Aucun bruit ne se faisait entendre. La maison était silencieuse et vide…
Quand il franchit le seuil ensoleillé, Gilles les yeux fermés laissa un instant la chaleur matinale des rayons caresser son visage. C’était comme un merveilleux réveil après un affreux cauchemar…
Un hennissement tout proche lui fit rouvrir les yeux et il vit qu’un cheval tout sellé était attaché à un peuplier à quelques pas de lui.
Son regard fit le tour de l’horizon tandis qu’il sortait de la maison qui était un moulin à demi ruiné. Un petit cours d’eau coulait tout auprès avec un bruit frais, sous la roue veuve de la plupart de ses pales. Il alla y tremper son visage pour achever de retrouver son équilibre, plongeant même sa tête tout entière dans la fraîcheur bienfaisante… puis courant vers le cheval qui d’un nouveau hennissement paraissait l’appeler, il le détacha, sauta en selle et, franchissant la prairie en pente qui menait à la route, partit au grand galop dans la direction qui lui semblait être celle de Versailles… Son esprit ne formulait qu’une pensée moins bien claire : rejoindre Judith !
— Vous ?… Mon Dieu ! Mais où étiez-vous ?
Berthe venait d’ouvrir la porte et, sur le seuil de son salon, Mlle Marjon accourut. Elle se jeta vers Gilles, le prit aux épaules et le regarda avec une sorte de terreur comme s’il sortait tout droit de l’enfer. Il vit qu’elle avait les yeux rouges, le visage délavé de quelqu’un qui a beaucoup pleuré.
— Je ne sais pas moi-même… On m’a enlevé. Laissez-moi passer… Je veux voir Judith !
Et il s’élança dans l’escalier appelant de toute la force de ses poumons.
— Judith ! Judith… Où es-tu, mon cœur !…
Mais seul Pongo apparut sur le palier. Un Pongo aux yeux creux dont la peau était grise comme s’il relevait d’une longue maladie. Sa figure était si tragique qu’une épouvante s’empara de Gilles. Bondissant vers l’Indien, il le prit aux épaules et le secoua.
— Où est-elle ? Où est ma femme ?…
— Elle est partie… hier soir ! dit derrière lui la voix éteinte de Mlle Marjon.
— Partie ? Mais où, mais comment ?
— Je ne sais pas !… Elle paraissait plus calme cependant. Elle s’était endormie. Je suis allée jusqu’à l’église pendant que Berthe préparait le souper. Pongo était à l’écurie pour soigner les chevaux. Quand nous sommes revenus le lit était vide… elle avait disparu ! Oh, Gilles, comment avez-vous pu lui faire cela ?…
— Lui faire quoi ? Pouvez-vous me dire ce que je lui ai fait ?… Je vous dis que j’ai été victime d’une infâme machination !
La vieille demoiselle détourna ses yeux qui s’emplissaient à nouveau de larmes et tira son mouchoir.
— Oh… je ne sais pas au juste, mais cette absence de trois jours sans nouvelles ! Trois jours ! Pauvre petite !… Même une Reine n’a pas le droit de faire cela ! C’est infâme !
— La Reine n’est pour rien là-dedans ! C’était un traquenard, un piège… J’ai des ennemis redoutables, vous devriez le savoir !…
Elle haussa les épaules, accablée de chagrin.
— Et des amies auxquelles on n’a pas le droit de dire non, n’est-ce pas ? Sainte Vierge ! Dieu m’est témoin que jamais je n’ai prêté l’oreille aux bruits qui courent, ni sur tout ce que l’on dit de la Reine…
— Encore une fois, hurla Gilles hors de lui, je me tue à vous dire qu’elle n’y est pour rien !
— Et ça alors ?…
Elle tira de son fichu de soie grise un papier froissé trituré, informe, qu’elle mit dans la main de
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