Un collier pour le diable
me payer !
— Ne sois pas stupide, mi amor ! L’émeraude est un talisman. Elle est verte comme l’espérance, verte comme le printemps et un vieux savant m’a dit autrefois que les anciens Égyptiens la considéraient comme la pierre des amants. Et puisque tu es venu en Espagne pour faire fortune, eh bien permets-moi de commencer cette fortune… et ne m’offense plus en refusant !
Il fallait bien accepter. D’ailleurs Gilles éprouvait une émotion nouvelle, plus pure. Il avait cru n’être pour la princesse qu’un instrument de plaisir dont les sentiments l’intéressaient peu. Ce joyau lui faisait découvrir une sorte de tendresse, une chaleur de cœur qui n’était peut-être pas vraiment de l’amour mais qui, à tout prendre, y ressemblait. Il baisa tendrement la main qui venait de lui faire ce royal présent.
— Cela, ma reine, je ne l’oublierai pas…
L’étreinte qui suivit se ressentit de la chaleur de sa reconnaissance et quand, une demi-heure plus tard, Maria-Luisa s’arracha enfin de ses bras pour regagner le palais, il n’éprouva pas le soulagement des autres matins. Sa première impression avait été la bonne quand elle l’avait fait venir dans sa chambre le premier soir : la future reine d’Espagne quêtait désespérément le bonheur. Et Dieu seul savait quelle puissance un homme habile pourrait tirer d’elle lorsqu’elle porterait la couronne, car point n’était besoin de fréquenter longtemps la Cour pour savoir que le prince Carlos n’était qu’un gros benêt, paisible et crédule jusqu’à la stupidité, en perpétuelle et béate admiration devant sa femme. Le vrai roi ce serait Maria-Luisa mais qui serait le maître de Maria-Luisa ?
— Dieu protège l’Espagne, murmura-t-il pour lui-même en enveloppant la bague dans son mouchoir avant de la glisser dans sa ceinture, avec l’agréable sensation de serrer contre lui quelques-unes des vieilles pierres de La Hunaudaye.
Il se sentait le cœur content, l’âme en paix. L’aventure qui commençait à lui peser allait, par la force des choses, s’achever d’elle-même très certainement, sans cris, sans douleur, et quand plus tard il en évoquerait le souvenir, elle ne lui laisserait pas le goût amer qu’il avait craint.
Une horloge, quelque part, sonna trois heures. Il était plus que temps d’aller prendre un peu de repos… Doucement, Gilles sortit du pavillon, referma la porte, fit quelques pas le long du fleuve en respirant à pleins poumons l’air frais de la nuit. Il faisait délicieusement bon et tout le jardin embaumait…
Le cri d’un nocturne éclata tout près de lui. Presque simultanément, plusieurs hommes masqués jaillirent d’un buisson et s’abattirent sur le jeune homme qui, sans même pouvoir tirer son épée, se trouva ligoté et bâillonné avec une habileté qui dénotait un long entraînement.
Quand il fut totalement réduit à l’impuissance, l’un de ses agresseurs, une sorte de géant noir, le chargea sur ses épaules et l’on se mit en marche sur le chemin du bord de l’eau jusqu’à un petit carrefour planté de pins parasols où quelques marches descendaient jusqu’au Tage.
Malgré sa position inconfortable, le captif distingua une silhouette d’homme debout au milieu de ce carrefour et qui semblait attendre, une silhouette qui lui rappela quelque chose. Une voix autoritaire qui ne jugeait pas utile de baisser le ton se fit entendre :
— Est-ce fait ?
— C’est fait, Sire ! Nous l’apportons, dit quelqu’un.
— Parfait ! Posez-le là.
Le porteur de Gilles le laissa glisser à terre sans la moindre précaution, circonstance qui n’aggrava qu’à peine ses inquiétudes. Si le Roi s’était donné la peine de tendre lui-même cette embuscade, l’amant de l’imprudente Maria-Luisa était perdu.
Couché de tout son long sur le petit quai de marbre froid, Gilles vit le Roi s’approcher de lui avec cette curieuse démarche cahotante que lui donnaient ses jambes trop arquées de vieux cavalier. Une angoisse brutale lui serra l’estomac. Si ses mains avaient été libres, il se fût, instinctivement, protégé d’un signe de croix car jamais homme n’avait à ce point ressemblé au Diable. Avec son nez tombant, sa bouche grimaçante, ses yeux morts et son dos voûté, Charles III était d’une laideur à la fois repoussante et satanique. Derrière lui apparut soudain la robe noire d’un moine…
Le Roi considéra un instant le long
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