Un collier pour le diable
commence à montrer les dents. Vous comprendrez ce que je veux dire si vous avez un jour la faveur d’être admis à voir Sa Majesté jouer à la fermière dans son domaine.
— Est-il si difficile d’être admis à Trianon ?
Rochambeau se mit à rire mais d’un rire qui ne sonnait pas tout à fait clair et où perçait une pointe d’amertume.
— Les écriteaux qui délimitent le domaine et qui portent la mention « De par la Reine » sont plus ardus à franchir qu’une frontière pour qui n’est pas admis au cercle privé de Sa Majesté. Vous verrez cela à l’usage. Holà ! Martin, plus vite ! Nous ne serons pas à Paris avant demain matin à ce train et j’aimerais fort à souper ailleurs qu’au bord de la route !
1 . Actuelle rue Jacob. L’hôtel, très refait, situé au n o 56, appartient à présent à l’imprimerie Didot.
2 . La famille de Rosambo.
3 . Il était né le 23 août 1754.
4 . 10 mai 1783.
5 . Approximativement la rue de Rivoli.
6 . Le boulevard Saint-Michel, mais la Révolution allait empêcher ces réalisations. Ce fut seulement Haussmann qui reprit les plans.
7 . Les Gardes du Corps, dont la création remontait à Charles VII et à sa fameuse compagnie d’archers écossais, était le régiment destiné par excellence à la garde des personnes du Roi et de la Reine. Il était chargé d’assurer cette garde à l’intérieur des palais royaux, les autres régiments officiant dans l’enceinte des palais étant les Cent-Suisses, les Gardes de la Porte et les Gardes de la Prévôté. L’extérieur était assuré par les Chevau-légers, les mousquetaires (jusqu’en 1776) et les Grenadiers à cheval. À l’époque qui nous intéresse le régiment des Gardes du Corps se composait de quatre compagnies (écossaise, anglaise, bourguignonne et flamande) de 367 hommes chacune, répartis en 8 escouades ; en tout 1468 cavaliers. Pour y être admis, il fallait être noble, grand, beau, majeur et catholique. Leur capitaine était toujours un duc et le dévouement au Roi de ce magnifique régiment était total, inconditionnel. Il devait le prouver hautement lors de l’assaut du palais de Versailles en octobre 1789.
8 . Le frère puîné du Roi avait seul droit à ce titre de « Monsieur » sans autre appellation. Son épouse était « Madame ».
CHAPITRE VI
NOCTURNE DANS UN BOSQUET DE TRIANON…
En dépit des prédictions pessimistes du général, Gilles de Tournemine franchissait, sept jours plus tard, le 21 juin 1784, la limite des fameux écriteaux à l’occasion de ce qui allait être la dernière grande fête de l’Ancien Régime donnée dans les jardins de Trianon, lieu privilégié des délassements royaux.
La pièce s’achevait en apothéose. Comme par magie, le petit théâtre bleu et or de la Reine venait de s’illuminer tandis que sur le devant de la scène fleurie de gigantesques bouquets qui montaient jusqu’aux cintres comme des fusées blanches, les artistes de la Comédie Italienne et les danseuses de l’Opéra ne cessaient de plonger dans leurs révérences, courbés comme les fleurs des champs sous la tempête des applaudissements.
Le Dormeur éveillé de Marmontel, musique de Grétry, connaissait un vrai triomphe auprès du très noble public. Le jeune Hassan, devenu calife en dormant, venait de choisir définitivement, à la satisfaction générale, l’amour de la jeune esclave qu’il avait élevée. On applaudissait à tout rompre et, tout le premier, l’hôte d’honneur de cette fête, le roi Gustave III de Suède qui, sous le pseudonyme transparent de « comte de Haga », visitait la France incognito au retour d’un voyage en Italie.
Debout, bras croisés contre l’un des montants dorés d’une petite loge où s’empilaient les aides de camp du visiteur : Taube, Stedingk et Armfelt qui étaient tous pour lui d’anciens compagnons d’armes d’Amérique, Tournemine n’avait guère écouté la pièce, fasciné qu’il était par la splendeur du spectacle offert par la salle.
En effet, pour honorer son hôte nordique, la reine Marie-Antoinette qui avait ordonné cette jolie fête avait désiré qu’elle fût aux couleurs des neiges suédoises et ce n’étaient partout que satins, dentelles, tulles, velours, plumes d’une éclatante blancheur sur laquelle scintillait une profusion de diamants. On aurait dit qu’il avait tout à coup neigé sur le petit théâtre, les fleurs et l’opulente verdure de
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