Un collier pour le diable
ourlet de plumes blanches, tandis que Merlin recevrait le tapis de selle bleu galonné d’argent et le nœud bleu qui relèverait coquettement sa longue queue soyeuse. Il allait appartenir à la Compagnie Écossaise, celle qui, fondée au XV e siècle par le connétable John Stuart of Buchan, avait donné naissance, non seulement à la gendarmerie royale mais à tous les régiments de la Maison du Roi. Demain, le maréchal de Castries, chef suprême du régiment, le recevrait…
— Vous vous êtes engagé à une lourde tâche, mon ami, lui dit rêveusement Rochambeau en remontant en voiture. C’est un métier de chien de garde… et d’homme de main que vous avez réclamé et notre Sire, malgré toute sa bonté, sa science et son humanité et peut-être à cause d’elle, est sans doute celui de nos rois qui aura le plus à souffrir de ses contemporains.
— Tant qu’il me restera un souffle de vie, mon général, je servirai, je défendrai le Roi. Malheur à qui osera le toucher car à moins que je ne sois mort, je saurai le venger si je n’ai pas réussi à le défendre. Et si je ne parvenais ni à l’un ni à l’autre, malgré la crainte de Dieu qui m’habite, je me donnerais la mort moi-même car l’engagement que j’ai pris équivaut pour moi à l’entrée dans la plus austère des religions. Un oiseau chasseur ne connaît que son maître !
— Alors, mon cher enfant, laissez-moi vous donner trois conseils car vous ne connaissez encore ni la Cour ni ses dangers. Si vous voulez protéger efficacement votre maître faites-vous, d’abord, recevoir dans l’une de ces loges maçonniques dont Paris commence à regorger de nos jours, la plus puissante que vous trouverez. Quand vous y serez, ouvrez grands vos yeux et vos oreilles mais cultivez le silence.
— Je suivrai ce conseil-là. Voyons les deux autres ?
— Ils tiennent en deux noms d’hommes, tous deux extrêmement dangereux pour le Roi. Le premier, c’est le duc de Chartres, son cousin, fils aîné du duc d’Orléans. Une tête folle sans méchanceté réelle, sans mauvaises intentions véritables mais blessé, ulcéré même depuis que la coterie de la Reine, après la bataille d’Ouessant, lui a fait une réputation de lâcheté, d’ailleurs parfaitement imméritée, car si Philippe de Chartres est fou et un peu trop démagogue, il n’a jamais été un lâche.
— Et… le second ?
— C’est le propre frère du Roi !
— Lequel ? Le Roi en a deux si je ne m’abuse.
— Oh ! je ne vous parle pas de Monseigneur d’Artois, le plus jeune. C’est un prince aimable, joyeux, aimant avant tout le plaisir sous toutes ses formes. Celui-là n’est qu’un papillon, un prince charmant dans la meilleure tradition des contes du bonhomme Perrault avec une cervelle à peine plus grosse qu’un petit pois. Celui-là aime tout le monde : son frère, sa belle-sœur surtout qu’il amuse et dont il partage les plaisirs, les hommes, les femmes… sauf peut-être la sienne qui ne lui inspire guère qu’un ennui aimable et courtoisement dissimulé. Non, je vous parle de la seule tête vraiment politique de la famille, je vous parle du prince de l’ombre et du silence, de l’homme qui fourbit ses armes dans le secret, de l’homme qui longtemps s’est cru l’unique héritier de son frère, le futur roi de France, puisque Louis XVI ne parvenait pas à faire d’enfants à sa femme, mais dont les espoirs se sont réduits avec la naissance de Madame Royale et à peu près anéantis avec celle de Monseigneur le Dauphin car la Reine, peut-être, n’a pas encore dit son dernier mot. Je vous parle de l’homme qui est capable de tout faire… et qui fera tout, vous m’entendez bien, pour supplanter son frère et coiffer cette couronne de France qui lui a toujours paru faite pour sa tête beaucoup plus que pour celle de Louis, je vous parle de Monseigneur le comte de Provence, je vous parle de Monsieur 8 !
Impressionné par la rudesse du ton et par l’expression du visage couturé de son chef, Gilles murmura :
— Êtes-vous sûr de votre fait, Monsieur ? Vous portez là de bien graves accusations ! Les Bourbons ressemblent-ils donc aux Atrides ?
Rochambeau haussa les épaules et se pencha pour essuyer la buée formée sur la glace de la voiture car, avec la nuit tombante, la pluie venait de faire son apparition : une de ces pluies légères et douces d’Île-de-France qui savent si bien soulager la sécheresse de la
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