Un collier pour le diable
paire de chevaux de bonne race mais dont l’aspect fit froncer le sourcil du Breton. La caisse de la voiture était peinte d’un vert sombre discret mais la discrétion s’arrêtait là car les armes d’Espagne soigneusement peintes sur les portières étaient suffisamment révélatrices : le grand personnage en question avait toutes les chances d’être le chevalier d’Ocariz… ou l’ambassadeur lui-même.
— Si ces Messieurs veulent bien me suivre… fit le valet après avoir remis les brides des chevaux à un palefrenier, je vais avoir l’honneur de les introduire dans un petit salon d’attente. Monsieur Boehmer est désolé de les prier de prendre patience jusqu’à ce qu’il en ait fini avec son client.
— Pas trop longtemps ! précisa Winkleried. Je dois rentrer à Versailles…
Mais, en fait, l’attente se réduisit à rien car, tandis que les deux jeunes gens montaient le bel escalier de pierre derrière le dos du laquais, les joailliers, encadrant un personnage en qui Gilles n’eut aucune peine à reconnaître le Consul d’Espagne, commençaient à le descendre.
Le cortège montant se rangea pour laisser passer le cortège descendant et, au passage, Boehmer adressa un salut amical à l’officier helvète.
— Je suis à vous dans l’instant, Monsieur le Baron !
— Prenez votre temps, ami Boehmer, prenez votre temps ! répondit Ulrich-August, tandis que Gilles s’efforçait de ne pas regarder l’Espagnol et de prendre un air indifférent.
— Vous connaissez cet homme ? chuchota le Suisse tandis que le Français et lui reprenaient leur ascension.
— Qui ? Cet étranger ? Ma foi non, mais d’après les armes de sa voiture et la couleur de la figure, je suppose qu’il est espagnol. Pourquoi me demandez-vous cela ?
— Parce qu’il vous a beaucoup regardé, lui !…
— Ah ! Nous nous sommes peut-être rencontrés à la Cour du roi Charles III mais je n’en ai pas gardé le souvenir, fit Gilles hypocritement.
On les introduisit alors dans un beau salon, fort bien meublé mais dont la décoration principale consistait en vitrines renfermant quelques pièces de joaillerie et d’orfèvrerie d’un style un peu lourd peut-être, mais fort belles cependant et qu’Ulrich entreprit d’examiner d’un œil expert.
— Vous vous connaissez en bijoux, mon cher baron ? demanda Gilles amusé de le voir sortir de sa poche une petite lorgnette et la visser sur son œil droit.
— Je me connais en tout ce qui est beau ou bon : les vins, les chevaux… les femmes ! Quant aux bijoux, c’est vrai, je m’y connais un peu : la baronne, meine mutter , en avait beaucoup et de très jolis !
Un instant plus tard Boehmer, habit de velours rouille tendu sur un ventre respectable et cheveux de même nuance, faisait irruption dans le salon et se précipitait vers Winkleried les mains tendues :
— Monsieur le baron ! Quelle joie de vous revoir ! Il me semble qu’il y a un siècle ! Mais prenez donc la peine de vous asseoir… J’espère que vous n’êtes pas venu jusqu’ici ces jours derniers ? Nous étions absents pour affaires, mon associé et moi. Et que puis-je faire pour vous ?
— Pour moi, rien, fit le Suisse tranquillement. Mais pour mon ami, beaucoup ! Il désire acheter votre sacré collier !…
— Mon collier ?… Quel collier ? Tout de même pas le…
— Mais si, mais si, « le »…
— Vous pensez bien, Monsieur, que je ne viens pas acheter pour moi ! coupa Gilles, vexé par la mine effarée du joaillier. Je ne suis, auprès de vous, que l’envoyé de l’une des plus grandes et des plus riches dames de ce temps : Son Excellence, Madame la duchesse d’Albe, ainsi qu’en fait foi la lettre que voici ! ajouta-t-il froidement en tirant de sa poche quelques-uns des papiers que lui avait remis l’intendant Diego. J’ajoute que les fonds nécessaires à l’achat sont déjà déposés à la banque Lecoulteux où ils n’attendent que notre accord pour vous être remis ! Mais je vous en prie, lisez !
Boehmer chaussa ses lunettes, parcourut sans hâte excessive la lettre qu’on lui avait remise, puis retira ses lunettes, essuya son front où la sueur perlait puis, avec un profond soupir, rendit le papier au jeune homme.
— Je vois, Monsieur, je vois ! Malheureusement, je suis contraint, à mon grand… très grand regret, croyez-le bien, de vous refuser : le collier n’est plus à vendre !
— Comment cela : plus
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