Un collier pour le diable
cent quarante-sept diamants ! commenta Boehmer.
— Deux mille huit cents carats ! fit Bassange en écho.
D’un doigt respectueux Winkleried toucha le rang de dix-sept pierres, grosses comme des noisettes, qui formait le premier tour de cou.
— Superbe ! souffla-t-il soudain enroué, vraiment… admirable ! J’espère que la princesse des Asturies est belle ! Autrement, ce serait dommage… !
— Elle est loin d’être belle, marmotta Gilles qui, juste à cet instant, imaginait le visage passionné de Cayetana surgissant de ce joyau fabuleux qui envelopperait ses épaules d’un manteau scintillant et allumerait des éclairs jusqu’aux pointes de ses seins. Par contre Madame d’Albe est l’une des femmes les plus séduisantes que je connaisse…
— C’est à la reine Marie-Antoinette qu’il irait le mieux ! s’écria Boehmer avec une espèce de rage. Il a été fait pour une blonde ! Nous aurions été comblés qu’elle le prenne et si nous n’avions à ce point besoin d’argent, jamais nous n’accepterions de le laisser sortir de France. Mais nous avons des créanciers et la plus grande partie de ce que nous possédons est englouti dans ce collier.
— Alors ayez au moins la satisfaction de le savoir à l’un des plus jolis cous d’Europe ! Allez à Versailles demain, Messieurs, mais ne donnez aucune réponse à votre acheteur avant de m’avoir vu. Pouvez-vous au moins me promettre cela ?
Les deux bijoutiers se consultèrent du regard. Ce fut Bassange qui répondit.
— Si nous vous revoyons très vite, oui. Mais que pensez-vous faire ?
— Voir la Reine, moi aussi, et lui demander de vous dire, si elle refuse encore, qu’elle préférerait savoir ce collier chez la duchesse d’Albe plutôt que chez une cousine pour laquelle je ne crois pas qu’elle déborde d’affection ! À moins, ajouta-t-il avec une perfide douceur, que vous ne préfériez prendre ce soir votre décision ? En ce cas, vous me trouverez jusqu’à demain matin à l’hôtel d’York, rue du Colombier…
Le valet qui avait introduit les deux jeunes gens reparut donnant tous les signes d’une intense agitation.
— Eh bien quoi ? Qu’y a-t-il, Werner ? demanda Boehmer avec agacement. As-tu encore laissé entrer quelqu’un ? Il m’a semblé entendre le marteau de la porte.
— C’est que… cette fois c’est un prince : Monseigneur le comte de Provence !
— Quoi ?… Mon Dieu, Messieurs, il me faut vous chasser. Il est impossible de faire attendre, même une seconde, un prince du sang et…
Gilles reprit son chapeau qu’il avait posé sur une chaise.
— Ne vous troublez pas, Monsieur Boehmer : nous partons ! Nous n’avons d’ailleurs plus rien à nous dire pour ce soir ! Mais songez à ma proposition !…
Il avait hâte à présent de sortir dans l’espoir d’apercevoir l’homme qu’il croyait bien avoir attaqué la nuit précédente mais, comme on pouvait déjà entendre le bruit de pas dans l’escalier, Bassange barra le chemin vers la porte.
— Pas par là, s’il vous plaît ! Sinon vous allez vous trouver face à face avec le prince. Vous ne souhaitez pas être vus, j’imagine ?
— J’aimerais mieux pas, encore que le prince ne me connaisse pas.
— Mais il pourrait poser des questions… ennuyeuses ! C’est un homme très curieux. Venez plutôt par ici…
Il ouvrait une petite porte dissimulée dans une boiserie supportant un panneau de glace, découvrant un étroit couloir obscur dans lequel il les fit entrer tandis que Boehmer se portait au-devant de l’illustre visiteur.
— Vous allez connaître les secrets de la maison, dit-il avec un sourire, mais vous êtes devenu d’emblée un fort important client. Suivez ce couloir. Au bout, vous trouverez un petit escalier qui aboutit derrière une tenture et qui vous ramènera presque dans la cour. Excusez-moi seulement de ne pas vous accompagner.
— Mais nous n’allons rien y voir ! protesta Winkleried.
— Que si ! Laissez-moi seulement refermer la porte. Bonsoir, Messieurs !
En effet, la porte refermée, Gilles s’aperçut qu’on y voyait autant que lorsqu’elle était ouverte grâce au panneau de miroir qui était fait d’une glace sans tain.
— Ah ! Je comprends, murmura Ulrich. Eh bien, allons !
— Un instant !… rien qu’un instant !
À travers la glace il pouvait voir en effet les deux joailliers qui revenaient dans le salon, escortant deux hommes dont l’un
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