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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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complètement ivres d’un match.
    — Voici nos assassins qui passent, dit Cyprien. Des miliciens qui viennent du Nord pour faire le « travail » dans la capitale. Tu entends ce qu’ils chantent : « Nous allons les exterminer » ? Gentille, ils parlent de toi et de tous ceux qui te touchent, te connaissent ou t’aiment. Partez. Pas de chez moi. Partez de ce pays de merde. La haine, elle te vient avec la naissance. On te l’apprend dans les berceuses avec lesquelles on t’endort. Dans la rue, à l’école, au bar, au stade, ils n’ont entendu et appris qu’une leçon : le Tutsi est un insecte qu’il faut piétiner. Sinon, le Tutsi enlève ta femme, il viole tes enfants, il empoisonne l’eau et l’air. La Tutsie, elle, ensorcelle ton mari avec ses fesses. Quand j’étais tout petit, on m’a dit que les Tutsis me tueraient si je ne le faisais pas avant. C’est comme le catéchisme.
    Venant du quartier de Réméro, près de chez Lando, l’écho d’une grenade, puis d’une autre et d’une troisième, descendit d’une colline à l’autre, ponctuant comme pour les amplifier les propos de Cyprien.
    Gentille n’écoutait pas, même si elle entendait. Elle se sentait enfin femme, honorée, admirée et aimée, non plus un corps, une petite chose qu’on trouvait belle, un bibelot qu’on achetait ou un désir qu’on satisfaisait. Quelques mots seulement, quelques mots l’avaient menée là. Et ce lieu lui paraissait aussi effrayant qu’adorable. L’homme qui mouillait ses cuisses avec ses seules paroles la quitterait sûrement. Cela était inscrit dans le ciel, dans la vie. Après une certaine période de plaisirs et de jouissances, quand il aurait fait le tour des seins, du cul, des jambes et du sexe, quand il les aurait appris par cœur du bout de ses doigts et de son sexe pressé, il comprendrait bien qu’il s’était entiché d’une pauvre petite négresse de campagne qui ne connaissait rien, qui ne pouvait parler ni du monde, ni de la vie, ni, surtout, de l’amour. Elle était persuadée qu’il ne pourrait pas supporter beaucoup plus longtemps ce pays hystérique dans lequel s’installait la folie comme une forme normale de vie. Elle savait qu’il la quitterait, dans quelques semaines, au mieux dans quelques mois. C’était inéluctable.
    La femme de Cyprien avait préparé des brochettes de chèvre coriaces qu’ils mangèrent lentement avec des tomates, des oignons, des haricots et de la Primus chaude. Ils parlèrent peu, satisfaits d’être ensemble et de partager durant quelques heures le même destin. Après le repas, Cyprien insista pour accompagner Valcourt et Gentille jusqu’à l’hôtel parce que les miliciens avaient installé des barrières et que Gentille risquait d’avoir des ennuis. Déjà, quelques jeunes filles avaient disparu.
    La première barrière s’élevait à moins de cent mètres de la maison de Cyprien. Un tronc d’arbre en travers de la route, un brasero, une dizaine d’hommes commandés par un gendarme qui avait troqué son fusil contre une machette. C’étaient des voisins qui respectaient Cyprien même s’ils s’en méfiaient. On les laissa passer sans problème. Le gendarme était un cousin. Encore un.
    Juste avant d’entrer dans le centre-ville, une seconde barrière. Les hommes qui la gardaient semblaient plus excités et plus dangereux. Ils dansaient devant deux troncs d’arbres qui barraient la route en brandissant des machettes et des gourdins dont la tête était hérissée d’un énorme clou. Valcourt arrêta la voiture quelques mètres avant la barrière. Cyprien sortit pour aller à la rencontre de deux jeunes hommes qui titubaient. Il les accompagna jusqu’à la voiture. Les deux miliciens n’avaient d’yeux que pour Gentille qu’ils firent descendre. Ils tournaient autour d’elle en faisant des gestes obscènes et en appelant leurs compagnons. Valcourt sortit, tenant son passeport canadien et sa carte de presse du gouvernement. Cyprien parlementait, ses papiers d’identité en main. « Voilà, ce sont des amis qui rentrent chez eux. Elle est hutue, il est canadien, pas belge ou français. » Ils étaient bien une dizaine maintenant à les entourer, tous ivres ou ayant fumé du chanvre. Un petit barbu qui portait un chandail des Bulls de Chicago avec le nom de Michael Jordan dans le dos s’adressa à Valcourt : « Le Canadien aime les putains tutsies avec des fausses cartes de Hutues. C’est pas bon pour toi, chef.

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