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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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K.-O.
    Mais Cyprien voulait aussi lui confier autre chose, et pour demander à Gentille d’aller retrouver Georgina et les enfants dans la maison, il fit un grand geste qui embrassait Kigali. À gauche, on voyait le centre de la ville avec l’hôtel qui le dominait sur la colline la plus élevée, à droite, la route de Ruhengeri, et en face, sur l’autre colline, le marché de ferraille qui rapetissait de plus en plus pour faire place aux fabricants de cercueils. Légèrement à droite, on distinguait la masse rougeâtre et presque moyenâgeuse de la prison. Alors Cyprien expliqua. Son cousin lui avait dit que, dans un collège de Ruhengeri, le président avait installé un camp d’entraînement et que les frères des écoles chrétiennes n’avaient pas protesté. On y entraînait des centaines de jeunes fanatiques comme ceux qui jouaient de la machette au marché. Chaque jour, sur la route qu’il montrait du doigt, des camions de l’armée remplis de miliciens arrivaient à Kigali. On les logeait dans différents quartiers, chez des sympathisants du parti et, la nuit, ils établissaient des barrières sur les chemins et contrôlaient l’identité des passants. Ils parcouraient les rues avec des papiers qu’ils remplissaient de signes après avoir demandé si la maison était tutsie ou hutue. Parfois, un peu soûls ou après avoir fumé du chanvre que les militaires leur distribuaient, ils estropiaient quelques Tutsis égarés. Depuis quelque temps, dans son quartier, des inconnus mettaient le feu aux maisons des Tutsis. Les incendiaires venaient d’ailleurs, personne ne les connaissait, mais ils ne se trompaient jamais de cible. Au « bar sous le lit », niché dans le tournant de la route qui montait vers la ville, Cécile, qu’il aimait bien caresser quand il rentrait du marché, lui avait montré des listes que lui avait laissées un milicien qui voulait baiser mais qui n’avait pas d’argent. Elles provenaient du chef de secteur, madame Odile, une hystérique qui battait ses enfants quand ils jouaient avec des Tutsis. La liste comprenait trois cent trente-deux noms. Presque tous des Tutsis. Les autres étaient des membres hutus des partis d’opposition. Voilà ce qu’il voulait lui dire. Et autre chose encore.
    Un autre cousin, membre du parti du président, travaillait comme gardien à la prison. Il lui avait confié : « Nous avons commencé le travail à la prison. C’est un travail important pour la survie du Rwanda, menacé par les cancrelats. Nous les éliminons dès qu’ils arrivent. » Mais tout cela n’était rien encore. Les miliciens distribuaient des machettes dans le quartier. Certains chefs de secteur avaient même reçu des fusils-mitrailleurs. Et puis, on commençait à parler de supprimer des Blancs. Par exemple, les prêtres qui formaient des coopératives et s’occupaient des réfugiés tutsis. Personne n’était à l’abri, même pas Valcourt.
    — Au marché, les miliciens criaient que tous tes amis seraient coupés en petits morceaux et que tu ne reverrais jamais le Canada, parce que tu es un ami de Lando. Et je ne dis pas ce qu’ils ont promis de faire à Gentille. Maintenant que je ne l’ai pas dit, tu le sais.
    — Si tu dis vrai et, malheureusement, je te crois, Cyprien mon ami, on va te couper en petits morceaux toi aussi. Il faut que tu partes d’ici et que tu ne retournes pas au marché.
    — Monsieur Valcourt, dans ta tête, je suis déjà mort. Et tu as raison. Quelques mois encore, un an peut-être. Chaque jour que je continue, je vole du temps à Dieu qui m’attend et qui ne m’en veut pas pour quelques accidents. Mais ce n’est pas parce qu’on meurt qu’on cesse de vouloir vivre et de se conduire droit. Et moi, je marche droit. Un ami, c’est un ami. Je reste avec toi pour faire ton film. Et puis, je ne t’ai pas dit. Cécile m’a montré la liste parce qu’il y avait mon nom dessus. Elle m’aime bien. C’est avec elle que j’étais au Cosmos et que j’ai fait mon dernier accident. Elle aussi voulait que je parte et que j’aille m’installer dans la région de Butare parce que c’est plus sûr.
    Quand le soleil descend sur Kigali, on ne peut que se réjouir de la beauté du monde. De grands vols d’oiseaux font de délicates broderies dans le ciel. Le vent est doux et frais. Les rues se transforment en longs rubans de couleurs vives qui glissent paresseusement, formés de milliers de fourmis qui partent du centre-ville et

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