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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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par des bouchers malhabiles. Pendant que les hommes, repus de plaisir et de violence, quittaient la barrière, après avoir éteint les feux et rangé jusqu’au lendemain les deux troncs d’arbres, des chiens errants et affamés se glissèrent silencieusement et se firent un festin de ces chairs que les humains leur offraient avec tant d’insouciance.

7
    Je parle du fond de l’abîme
    Je parle du fond de mon gouffre…
     
    Nous sommes à nous deux la première nuée
    Dans l’étendue absurde du bonheur cruel
    Nous sommes la fraîcheur future
    La première nuit du repos {7}
     
    Gentille et Valcourt étaient allongés sous le grand ficus qui ombrageait à la fois la terrasse et la piscine, l’arbre magique, comme l’appelait Valcourt, sûrement taillé par des dieux car il formait une sphère parfaite. Depuis son arrivée à l’hôtel, il le contemplait, le suppliait parfois comme on fait devant un tableau qui nous rend plus grand que ce que nous sommes ou devant une image religieuse qui nous ramène à notre petite et réelle dimension. Cet énorme ficus qui faisait quatre étages, au point que de la salle à manger on n’en voyait même pas le sommet, le fascinait, le rassurait et le dépaysait. Au Québec, on vendait de petits ficus comme plantes décoratives. Ce n’étaient pas des arbres, mais des arbrisseaux. Seul le vert sombre et lustré de leurs feuilles rappelait la luxuriance africaine. Ici, ce géant dominait le vent, organisait le paysage. Il ne se passait pas une journée sans que Valcourt aille s’asseoir ou s’étendre quelques instants sous l’arbre. Il admirait sa beauté, sa rondeur lisse hérissée de petites pointes irrégulières, la couleur vibrante des feuilles que faisaient exploser en mille lucioles autant les rayons du soleil que les caresses de la lune. Durant les grandes pluies qui lavaient en une heure toutes les terres du pays, il s’installait sous ce gigantesque parapluie vivant. Pas une goutte ne l’atteignait. Et dans ces moments, il parvenait à croire qu’il était immortel. Cet arbre était un ami, un protecteur, un refuge. Quand il était soûl, il lui arrivait même de lui parler et d’être surpris de ne pas entendre de réponse.
    Gentille lui avait dit en entrant dans la chambre : « Fais-moi encore jouir avec des mots. » Il avait pris son exemplaire des Œuvres complètes de Paul Éluard et l’avait menée sous le ficus. Gentille s’était allongée dans l’herbe chaude comme une femme qui attend qu’on la prenne. Valcourt ne voulait pas, même si jamais il n’avait autant désiré une femme. Il craignait encore de plonger dans la nécessité de vivre. Il se défendait une dernière fois. Valcourt préférait lire, ce qui lui était plus facile que parler. Il le faisait avec une voix grave et douce, sans emphase, avec émotion. Il ne déchiffrait pas vraiment les vers. Il les entendait sonores en même temps que son cerveau regroupait les lettres qui formaient les mots qui créaient des phrases. Valcourt parlait à Gentille et vivait plus qu’il ne récitait. La jeune femme, au début, fut davantage charmée par la voix de l’homme qu’elle aimait que par les mots. Habituée à l’école à la lecture de Lamartine, d’Hugo ou de Musset, à la rime qui donne au poème l’allure d’une berceuse ou d’une ballade, elle se sentait bousculée par la cascade d’images, les allégories complexes. Quand elle entendit « Je parle du fond de l’abîme », elle demanda à Valcourt de répéter, puis prit sa main. « C’est toi, c’est moi, ici. Nous parlons du fond de l’abîme. » Elle répéta aussi en silence, « Je n’ai pas peur, j’entre partout », car c’est ainsi qu’elle vivait depuis quelques jours. Valcourt dut aussi répéter trois fois « l’étendue absurde du bonheur cruel ». Gentille découvrait que la poésie parlait de la vie, du plus horrible et du plus magnifique. Cet homme, Paul Éluard, dont elle ne connaissait pas le nom avant aujourd’hui, devenait comme un compagnon, une sorte d’ange gardien tellement il savait dire tous les mots de l’amour et tous ceux de la mort. Et dans ces mots, elle se reconnaissait.
     
    Un sourire disputait
    Chaque étoile à la nuit montante
    Un seul sourire pour nous deux
     
    « Je veux lire tout ce qu’il a écrit, ton monsieur Éluard. »
    Il s’allongea sur le dos à côté d’elle et ne ferma pas les yeux parce que le ficus le protégeait de toute lumière et de

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