Un Dimanche à La Piscine à Kigali
mauvaises herbes et à nettoyer le bord des routes. Mais plus personne maintenant ne pensait aux herbes folles. Tant que les appels à la violence demeuraient dans le domaine de la parabole ou de l’hyperbole poétique, les pays amis, la France en particulier, ne s’inquiéteraient pas de l’inhumanité qu’elle cautionnait et nourrissait de ses armes et de ses conseillers militaires. Dans les desseins des grandes puissances, ces gens étaient une quantité négligeable, hommes hors de l’humanité réelle, ces pauvres et inutiles Rwandais que le monarque moderne de la grande civilisation française acceptait de regarder mourir pour ne pas mettre en péril la présence civilisatrice de la France en Afrique, menacée par un grand complot anglophone.
Cyprien voulait Fabienne, ici et maintenant, comme aurait dit le grand Français qui avait armé et entraîné les hommes qui le séparaient de Fabienne et de son plaisir. À la vue de Cyprien, qui gravissait péniblement la colline, les miliciens se mirent à crier et à gesticuler.
— Viens t’amuser avec nous, Cyprien, viens. Allez ! Cyprien-les-grosses-couilles, il y a ta femme qui t’attend et qui te veut. Comme tu n’étais pas là, on a pensé qu’elle serait mieux avec nous.
Juste derrière les deux troncs d’arbres qui fermaient la route, sa femme gisait, la jupe remontée sur son ventre. Elle gémissait. Deux jeunes miliciens complètement hilares tenaient ses jambes écartées et un troisième immobilisait sa tête. Un sein pendait en dehors de son tee-shirt déchiré et ensanglanté. Le chef de la barricade pointa un revolver sur la tempe de Cyprien et le mena près de Georgina.
— Nous avons tous essayé, mais nous n’y arrivons pas. Ta femme n’a pas de plaisir. Même moi je suis passé dessus et les femmes m’aiment. Rien, pas un soupir de plaisir. Elle doit être anormale. Nous l’avons prise à deux, l’un par-devant, l’autre par-derrière. Et nous avons forcé. Des grands coups de queue, de grosses queues, puis nous avons utilisé un bâton. Rien seulement des pleurs et des cris horribles, même des insultes, pas un petit plaisir pour nous dire merci de la trouver si belle et appétissante. Toi qui connais tous les secrets des Blancs et des Tutsis que tu fréquentes, tu vas nous montrer, Cyprien, tu vas nous montrer comment il faut faire pour faire jouir ta femme.
Cyprien était soulagé. Il ne mourrait pas de la maladie mais de plaisir.
— Je vais vous montrer comment faire, dit-il.
Il se déshabilla complètement. Les miliciens qui retenaient sa femme s’écartèrent, intimidés par la nudité de l’homme qui les regardait dans les yeux et qui se penchait tranquillement vers Georgina. « Femme, mieux vaut mourir de plaisir que de torture », dit Cyprien. Lentement et surtout avec une délicatesse qu’il ne se connaissait pas, il retira sa jupe, puis son tee-shirt aux couleurs du Rwanda. À genoux entre ses cuisses, il la regarda longuement pendant que les miliciens hurlaient leur impatience. Il s’allongea sur elle et commença à l’embrasser, dans le cou, sur les oreilles, sur les yeux, les joues, aux commissures des lèvres, délicatement, seule la pointe de sa langue exprimant le désir, pendant que les miliciens huaient ce morne spectacle. Le petit barbu s’avança et lui donna un grand coup de machette dans le dos. Cyprien entendit son sang couler comme une rivière brûlante qui dévalait entre ses fesses et mouillait ses testicules. Jamais il n’avait eu une telle érection. Il se redressa et, pour la première fois de sa vie, il enfouit sa tête entre les cuisses de sa femme et suça, embrassa, mangea son sexe. Il n’avait presque plus de forces. Il pénétra Georgina et, juste avant qu’il jouisse, le gendarme tira. Le corps de Cyprien eut comme un hoquet et il tomba sur le dos à côté de sa femme. Aspergé de sperme, le gendarme se mit à hurler.
Georgina implora. « Tuez-moi, maintenant. Tuez-moi, s’il vous plaît. » Le gendarme furieux baissa son pantalon et se coucha sur elle. Il donna un premier coup de rein, et beaucoup d’autres comme s’il voulait la transpercer. Georgina n’exprima ni douleur ni plaisir. Pas un son, juste des yeux vides et morts. Le gendarme se releva, dégoûté. Ils exécutèrent la femme sans enthousiasme à grands coups de machettes comme pour terminer un travail monotone. Les deux corps ressemblaient à des déchets d’abattoir, à des carcasses mal équarries
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