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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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Pas bon. C’est un pays hutu ici, chef. Si tu veux pas finir dans la rivière Kagera, avec tous les Tutsis, trouve-toi une femme hutue. Je te laisse passer ce soir, mais tu dois donner un peu d’argent pour la formation et l’instruction patriotique des milices. » Valcourt donna les cinq mille francs rwandais qu’il avait. Le barbu lui remit son passeport, mais pas sa carte de presse, ni la carte d’identité de Gentille.
    Valcourt insista pour que Cyprien passe la nuit à l’hôtel, mais son ami préférait les laisser seuls et il ne voulait pas dans cette période troublée abandonner sa femme et ses enfants. « Et puis trente minutes de marche sous la pleine lune, c’est un grand bonheur. Ne t’inquiète pas, je connais tout le monde. Donne-moi une bière pour la promenade. »
    Il pouvait éviter les barrières en empruntant quelques-uns des sentiers qui parcouraient les collines comme un complexe réseau sanguin. Mais il avait envie de suivre la grande rue bitumée et de croiser des gens qu’il saluerait avec joie, leur demandant les dernières nouvelles de leur quartier ou d’un cousin éloigné. Avec sa grosse Primus, dont il n’avait pris qu’une seule gorgée, Cyprien voulait faire la fête. Il trouverait bien une femme libre le long de la route qui, pour partager sa bière, ouvrirait ses grosses cuisses chaudes et moites dans un grand éclat de rire. Le sexe l’avait condamné, mais c’est tout ce qui le rattachait à la vie. Et après cette femme, il réveillerait la sienne et lui ferait peut-être un autre accident parce qu’il y avait longtemps, et puis il jetait à la poubelle ou distribuait aux enfants pour qu’ils en fassent des ballons les préservatifs qu’on lui donnait à chaque contrôle médical. Cyprien avait tellement peur de mourir sans avoir couché avec toutes les femmes que lui aurait réservées une vie normale qu’il ne pensait qu’à cela. Sa journée s’organisait autour du sexe. Il avait écumé littéralement la moitié du marché, sans jamais penser qu’il pouvait infecter la vendeuse de tomates ou celle de tilapias. Ce pays était condamné, croyait-il, à disparaître. Que ce soit la machette ou la queue infectée qui fasse le travail, quelle différence ? Oui, il y en avait une, la queue était plus douce que la machette. Un jour, Élise l’avait engueulé royalement parce qu’il couchait à gauche et à droite sans utiliser de capote. « Tu es un assassin, criait-elle, dans son petit bureau à côté de l’hôpital. Toutes ces femmes, tu les tues. »
    Peut-être qu’il les tuait, mais elles riaient comme des folles quand il leur tapait les fesses et qu’il glissait sa main sous la jupe. Elles poussaient de grands cris de plaisir quand il les pénétrait en leur massant les seins. C’était, disait-il, une bien plus belle mort que celle de la machette.
    Cyprien n’avait pas trouvé de femme libre sur le chemin qui le ramenait chez lui. Il songeait même à revenir en ville, tant il avait envie de soulager ses couilles douloureuses et l’érection qui persistait. « Je ne suis pas encore mort », se disait-il en riant. Il pensa alors à Fabienne, la sœur de son amie Virginie, qui tenait un « bar sous le lit » juste après la barrière. Une idiote qui jacassait sans arrêt comme une pie, même quand elle avait les jambes en l’air et qu’on s’épuisait sur son ventre à vouloir la faire taire ou la faire jouir. On ne savait jamais. Mais étant donné qu’elle en redemandait et qu’on ne payait pas pour la deuxième fois, elle jouissait d’une certaine renommée. Dans le quartier, on l’appelait la Mangeuse, parce qu’elle avait toujours faim d’un homme et qu’elle les prenait tous, même à crédit, à moins qu’ils ne soient tutsis.
    On s’amusait ferme à la barrière. Une radio tonitruante diffusait de la disco dans tous les recoins du quartier. Des ombres dansaient ou sautillaient bêtement, découpées par la lumière fauve qui provenait de deux feux qu’on avait allumés dans de gros barils de métal. Les miliciens chantaient la gloire du parti du président, la supériorité éternelle des Hutus. Le refrain disait : « Nous commençons le travail, et le travail sera bien fait. » Dans la propagande, on employait toujours ce terme de « travail », qui signifiait aussi « corvée collective ». Chaque année, les habitants des communes devaient participer au travail, à la corvée qui consistait à faucher les

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