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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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grimpent lentement sur leur colline. De partout montent les fumées des braseros. Chaque volute qui se dessine dans le ciel parle d’une petite maison. Des milliers d’enfants rieurs courent dans les rues terreuses, poussent des ballons crevés et roulent de vieux pneus. Quand le soleil descend sur Kigali, qu’on est assis sur une des collines qui entourent la ville et qu’on possède un restant d’âme, on ne peut faire autrement que de se taire et de contempler. Cyprien prit Valcourt par l’épaule.
    — Regarde. Tout est beau de chez moi. C’est pour ça que je veux mourir ici, en regardant le soleil endormir Kigali. Regarde, c’est comme du miel rouge qui coule du ciel.
    Gentille vint s’asseoir à côté de Valcourt. Ils restèrent ainsi, tous les trois, silencieux, jusqu’à la tombée de la nuit, hypnotisés par cette ville bruissante qui se lovait dans les replis des ombres dorées, puis rouges et enfin brunes que peignait le soleil. Ils sentaient que leur vie, jusqu’ici plus ou moins faite de leurs décisions, leur échappait totalement. Ils se sentaient portés par des forces qu’ils pouvaient nommer, mais qu’ils ne parvenaient pas à comprendre parce qu’elles leur étaient étrangères, qu’elles ne résidaient ni dans leurs gènes, ni dans leurs frustrations, ni dans leurs faillites, parce que jamais, dans leurs pires excès de haine, ils n’avaient imaginé qu’on puisse tuer comme on sarcle un jardin pour éliminer les mauvaises herbes. Déjà le sarclage, le travail, avait débuté. Pourtant, ils ne désespéraient pas.
    Les chiens aboyaient comme s’ils parlaient, comme s’ils prévenaient les humains. « Attention, l’homme devient chien et pire encore que le chien et pire encore que l’hyène ou que les charognards des vents qui dessinent des cercles dans le ciel au-dessus du troupeau inconscient. »
    Cyprien avait repris son monologue. Valcourt, disait-il, voulait lui apprendre à vivre en attendant la mort. Lui, il voulait enseigner au Blanc comment on ne pouvait vivre que si on savait qu’on allait mourir. Ici, on meurt parce que c’est normal de mourir. Vivre longtemps ne l’est pas. « Chez vous, on meurt par accident, parce que la vie n’a pas été généreuse et qu’elle se retire comme une femme infidèle. Vous pensez que nous respectons moins la valeur de la vie que vous. Alors, dis-moi, Valcourt, pourquoi, pauvres et démunis que nous sommes, recueillons-nous les orphelins de nos cousins, pourquoi nos vieux meurent-ils entourés de tous leurs enfants ? Je te le dis en toute humilité, vous discutez comme de grands savants de la vie et de la mort. Nous, nous parlons des vivants et des mourants. Vous nous regardez comme des primitifs ou des inconscients. Nous ne sommes que des vivants qui ont peu de moyens, autant pour vivre que pour mourir. Nous vivons et mourons salement, comme des pauvres. »
    Au-dessus de la prison de Kigali, le souffle, la sueur de milliers d’hommes parqués les uns sur les autres faisaient monter une coupole de brume.
    Cyprien en savait bien plus qu’il n’avait voulu en révéler sur les massacres qui se préparaient. Il connaissait les cachettes où l’on empilait des fusils et des machettes, les casernes où la milice s’entraînait, les lieux de rassemblement dans la plupart des quartiers de la ville. Il n’avait jamais aimé les Tutsis. Il les trouvait arrogants et trop joyeux, mais il adorait la taille fine de leurs femmes qu’il pouvait entourer de ses deux grandes mains, leur peau chocolatée et leurs seins durs comme des grenades juteuses. C’est bien ce qui l’avait perdu aux yeux de ses voisins et de ses amis hutus, ainsi que son amitié avec ce Blanc qui ne fréquentait que des Tutsis et qui parlait de liberté, quand il enseignait aux journalistes de la télévision qui ne faisait toujours pas de télévision. Il aimait bien ce Valcourt qui était capable d’écouter des heures et des heures, qui parlait sans jamais faire la leçon. Mais il avait aussi un peu pitié de lui. Valcourt était aride comme un désert, comme une terre morte qui refuse les semences. La tristesse de vivre, cette maladie dont souffrent seulement ceux qui ont le luxe d’avoir le temps de se pencher sur eux-mêmes, le rongeait. Valcourt mort vivant, Cyprien vivant mort, c’est par cette équation qu’il avait résolu les incessantes questions qu’il se posait après leurs rencontres. Peut-être que cette si belle Gentille lui

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